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le regret de ta péronnelle qui te fait faire cette grimace ? Ah ! dis donc, il ne faut pas me mettre en colère. Je veux, tu m’entends bien ?… je veux que tu épouses Mlle Ferrière, ou sinon tu en verras de grises… Et maintenant, file !

Madeleine tendait vers la porte son doigt qui tremblait. Elle était toute rouge d’émotion parce que le petit chancelait avec de grosses larmes dans les yeux. Tout à coup il éclata et vint se jeter comme un perdu au cou de la bonne femme en criant dans un vrai sanglot :

— Tante, tante, je vous aime !…

Et il l’embrassait en pleurant comme un gamin et se cachant la figure dans la collerette de Madeleine bouleversée.

Pour un peu, elle aurait dit : « N’en parlons plus, » tant cela lui gonflait le cœur de le voir sangloter.

Mais lui recommença, comme si la fièvre le tenait :

— Tante Madeleine, vous êtes le bon Dieu… Je vous aime ! je vous aime !…

— Bon, le voilà qui perd la tête, s’écria la gouvernante en serrant tant qu’elle pouvait le petit sur son cœur. Puis elle hasarda :

— Écoute donc, si tu ne veux pas ?…

— Mais si, je veux !

Et il la secoua de la belle façon en se redressant.

Il lui cria encore dans la figure :

— Je veux, entendez-vous, je veux…

Puis il prit la porte, dégringola toutes les marches et disparut, laissant Madeleine, les jambes cassées, se tenant le front à deux mains, essayant de comprendre, tandis que toutes ses idées tournaient dans sa cervelle comme son fil sur le dévidoir. Angelo, nu-tête, ébouriffé comme un petit chien frisé, courait aussi fort qu’il pouvait vers le pensionnat de Mme Morimbeau.

III.

Par bonheur, la porte était entr’ouverte : jamais il n’eût osé sonner. Il se glissa comme un chat dans la petite cour déserte, et, sautillant sur le bout des pieds, il gagna le jardin et se blottit derrière un arbre. De là, il allongea le cou du côté du mur, au fond, là-bas, sous les treilles où il y avait un banc. Il faisait une soirée claire avec un reste de jour dans une partie du ciel. L’autre commençait à laisser percer les premières étoiles. C’était le mois d’août ; le jardin avait toutes ses feuilles, toutes ses fleurs et tous ses fruits : cela embaumait. Et Angelo, subitement affamé de tous ses sens,