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regardait, aspirait, buvait l’air et allongeait les lèvres pour manger de baisers la jeune fille rêveuse, assise sous les treilles et qui ne le voyait pas. Quand il se fut bien régalé, pour la première fois de sa vie, de voluptés qui lui semblaient désormais permises, il se rapprocha de Thilda, doucement et le cœur détraqué à force de battre.

Elle leva la tête et rougit. Lui, alors, s’arrêta net, n’osant bouger et tout saisi par une confusion subite. S’il avait pu se cacher le visage dans la robe épandue sur les pieds de la jeune fille, peut-être, peut-être encore, eût-il trouvé le courage de lui raconter pourquoi il était venu. Mais comme cela, debout devant elle qui rougissait, jamais de la vie ! Il songea à s’enfuir. Aussi, pourquoi ne disait-elle rien ? Puisqu’on les mariait, elle devait bien le savoir. Elle le regardait très doucement ; ses yeux se promenaient sur lui, demi fermés, avec un battement des cils qui chatouillait follement le cœur d’Angelo. Mais elle ne semblait pas confuse comme une vierge en présence de son fiancé. Cela surprenait le timide neveu de Madeleine. Enfin elle dit, tendant sa main vers lui, d’un geste ami :

— Vous avez bien fait de venir ce soir.

Il trébucha en prenant sa main qu’il lâcha très vite, cela le brûlait, et il vint se coller au mur dans l’ombre d’une traînée de pampres qui lui pendaient sur le nez. Maintenant, plus hardi, il ouvrait sur Thilda ses yeux tout larges, brillans, mouillés comme des bleuets sous la rosée. Elle dit, la voix un peu chevrotante, avec un effort pour paraître calme :

— Il y a comme cela des momens dans la vie où l’on a besoin d’un ami.

Elle s’attendrissait. Des pleurs lui vinrent qui emplirent tout à coup ses yeux.

— Vous pleurez ! balbutia Angelo, qu’une grosse inquiétude souleva de son banc.

Il se pencha pour la voir, sa joue toucha l’épaule de la jeune fille. Elle tourna la tête un peu, et son regard voilé se posa sur les yeux levés d’Angelo. Pendant une seconde, ils se regardèrent ainsi dans le cœur, inquiets tous les deux et cependant ravis de ce toucher de l’âme dont la volupté exquise leur donnait comme la sensation d’un évanouissement. Elle détourna les yeux, lente, avec un sourire et dit tout bas comme un aveu :

— Non, je ne pleure plus !

Angelo baissa la tête, frôlant ses boucles blondes au corsage de Thilda, et il murmura, plus bas encore :

— Je vous aime ! je vous aime !…

Leurs mains s’étaient prises et ils se tenaient éperdûment.