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Alors elle dit, presque rieuse :

— Et quand on songe qu’aujourd’hui j’ai été demandée en mariage ! Vous devinez ce que j’ai répondu ?

Angelo se jeta sur les doigts de Thilda et, pour les baiser tous à la fois, il les roula sur sa bouche demi-ouverte. Elle ajouta avec un petit éclat de rire :

— J’ai répondu que j’avais fait le vœu de ne pas me marier.

— Vous avez refusé ! dit-il, lui lâchant les mains, vous avez refusé !…

Elle fit signe que c’était vrai et demeura surprise de la brusque stupeur d’Angelo. Il s’était rejeté dans l’ombre des vignes et elle n’apercevait plus son visage.

Il se taisait.

— Vous me blâmez ? dit-elle d’un ton de reproche.

Puis une colère lui vint.

— J’ai eu tort sans doute. J’aurais dû accepter cette occasion inespérée pour moi, pauvre fille, de sortir de cet esclavage, de vivre d’une autre vie plus large, plus tranquille toujours, avec une famille, moi qui suis seule au monde. Et cependant, lorsque Mme Morimbeau est venue me dire qu’on faisait demander ma main, un effroi m’a prise, mon cœur s’est serré. Oui, j’ai pensé tout à coup que je ne pourrais pas aimer ce… mari et qu’il me faudrait renoncer à mes autres chères affections, à… votre amitié qui m’a consolée et que je puis, du moins, garder au fond de mon cœur sans offenser personne. Et c’est de cela que vous me blâmez, Angelo !…

Elle s’était levée avec un geste désolé, et son regard au ciel disait toute l’amertume de cette dernière souffrance. Et elle s’en allait fière, blessée, rapide, sous la nuit des arbres dont les feuilles basses lui caressaient le front. Distraite et courroucée, elle arrachait les fleurs que rencontrait sa main pendante, et elle les déchiquetait, laissant ainsi derrière elle une traînée de pétales roses et blancs comme un symbole de ses illusions effeuillées.

Angelo venait de comprendre. Il bondit sur les pas de Thilda, léger comme un faon, sans qu’elle l’entendît courir, et il l’arrêta au bout de l’allée dans le découvert du ciel étoilé, près du perron qui s’étendait tout blanc sous la lune. Elle voulut fuir : résolument il saisit sa taille et la retint. Elle ploya, demi renversée, le pied sur la première marche, défaillante. Alors il lui dit dans un grand trouble :

— Savez-vous qui vous avez refusé d’épouser aujourd’hui ?

Elle le regarda.

— C’est moi, acheva Angelo, c’est moi… C’est ma tante qui vous