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l’attrapa par sa veste, le courba vers sa bouche qu’il tendait et l’embrassa sur la joue, bruyamment. Puis il bégaya, les yeux troubles :

— Sauve-toi, maintenant.

Madeleine se tenait à quatre pour ne pas sangloter. Elle relut sa lettre par contenance, et elle finit par dire :

Mme Morimbeau me prévient que Mlle Ferrière, cette jeune fille qui a refusé Angelo, demande à me parler. C’est une personne bien élevée ; elle veut s’excuser sans doute. Après cela, dit-elle encore en hésitant, je ferais peut-être bien de n’y point aller, car si elle me parle de la situation d’Angelo…

Maître Barbarin s’était levé, tout seul, comme rajeuni par ses émotions généreuses, et il s’en alla prendre Madeleine à deux bras, la regardant avec des larmes.

— Eh bien ! dit-il, tu lui apprendras qu’Angelo est notre fils, madame Barbarin.

VI.

Madeleine, s’habillant le lendemain pour se rendre chez Mme Morimbeau, sans y songer, mettait plus de soin à sa toilette, une certaine recherche où la tournure humble de la gouvernante disparaissait un peu sous le relief plus cossu de la bourgeoise. Et dans ce travail, elle se prenait insensiblement à des mouvemens d’orgueil qui la gonflaient. Elle mâchonnait en se regardant, se redressant, se faisant des sourires fiers :

Mme Barbarin ! Mme Barbarin ! Au fait, dit-elle tout à coup, Angelo est un riche parti maintenant. Il pourra trouver mieux que cette institutrice qui n’a pas le sou. Je vais lui glisser cela tranquillement, à cette demoiselle qui a fait la sottise de nous refuser. D’ailleurs, j’ai l’idée que le percepteur pourrait bien nous donner sa fille. Elle a une dot, celle-là !

En sortant, elle passa par l’imprimerie. Maître Barbarin, tout seul, dormait, bien étalé dans son fauteuil, au frais, sans habit, les jambes allongées, la bouche ouverte. Dans la pièce à côté, Angelo, assis devant le bureau du patron, composait le journal, une feuille hebdomadaire remplie d’annonces, avec une page consacrée aux élucubrations de quelques indigènes, collaborateurs naïfs et gratuits.

Madeleine, en entrant, surprit Angelo immobile, un mouchoir sous le nez. Elle crut qu’il pleurait et se pencha. Mais le mouchoir avait subitement disparu et les yeux d’Angelo brillaient d’un éclat qui n’était pas celui des larmes.

Madeleine lui caressa les cheveux, l’embrassa et lui murmura, la voix câline :