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— Pauvre petit mignon, va, sois bien sage, tu seras tout plein heureux dans quelques jours. Allons, je m’en vais. Tu sais, elle n’a pas voulu de toi, Mlle Ferrière ? Elle en voudrait peut-être bien aujourd’hui, mais trop tard, mademoiselle ; nous avons mieux que cela pour notre Angelo. Travaille bien, petit.

Et Madeleine s’en alla toute riante dans ses espoirs maternels.

Le mouchoir qu’Angelo avait si prestement escamoté reparut, mais cette fois il en tamponna sa bouche pour étouffer ses cris. Il beuglait dedans, il le mordait comme un petit enragé, en donnant des coups de pied sous la table. Il ne se connaissait plus de colère, de douleur. Même il eut cette pensée qu’il voudrait battre tante Madeleine. C’était inouï, à la fin, qu’elle disposât de lui avec cette autorité despotique. Oui, despotique ! Et il était un homme, après tout, et il le lui ferait bien voir. Et il allait prendre une résolution tout de suite. D’abord il se décida à enlever Thilda, et puis il réfléchit que la jeune fille n’y consentirait peut-être pas. Alors il s’enfuirait, il s’en irait tout seul, n’importe où, bien loin… Il pleurait tant qu’il pouvait. Et son chagrin était si gros qu’il ne connut bientôt plus de bornes. Alors, tout net, il cessa de pleurer et devint calme et grave comme au moment des résolutions suprêmes. On verrait qu’il n’était plus un enfant.

Cependant Madeleine avait sonné chez Mme Morimbeau. Thilda vint la recevoir. Rougissante, très émue, la jeune fille s’empressa pour faire asseoir Madeleine dans le parloir de la pension. Elles étaient seules.

— Mademoiselle,… commença la gouvernante d’un air pincé.

— Madame,… murmurait l’institutrice.

— J’ignore, continua Madeleine, pour quel motif Mme Morimbeau m’a priée de venir.

— C’est en mon nom, madame, et je vous remercie d’être venue.

Madeleine attendait, très digne, mais un peu troublée par l’embarras plein d’émotion de Mlle Ferrière.

Thilda baissa les yeux pour dire :

— Je vous prie de m’excuser, madame, si j’ai fait répondre à votre demande par un refus… je ne savais pas…

— C’est très naturel, mademoiselle, interrompit Madeleine en se levant, et vous n’aviez pas à vous excuser. Heureusement que mon Angelo…

— Oh ! je vous en prie, madame, s’écria la jeune fille se levant aussi et s’arrêtant devant Madeleine, soyez bonne, aidez-moi. J’ai à vous dire une chose… qui me coûte beaucoup. Mais je suis sans famille ; toute seule, il faut bien que je m’explique moi-même. C’est un aveu que je ne puis faire qu’à vous… J’aime Angelo.