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VII.

On fit les noces, très hâtivement, sur le désir de Madeleine. A peine eut-elle épousé maître Barbarin, sans aucune cérémonie et le plus discrètement du monde, que l’on publia les bans d’Angelo et de Mlle Ferrière. La petite ville clabauda sur ces deux événemens à s’en donner la fièvre. Les commères surtout ne tarissaient pas, et, méchamment, pour vexer l’ancienne gouvernante, que, jadis, l’on appelait : Madame Barbarin, elles affectaient aujourd’hui de l’appeler : Madame Madeleine. Mais celle-ci remettait à plus tard le soin de redresser les impertinences et de faire valoir ses droits de bourgeoisie : Madeleine avait bon bec et les commères n’y perdraient rien. Ce qui l’occupait, l’obsédait, c’était le mariage d’Angelo. Maintenant que Madeleine adorait Thilda, il lui prenait des remords : elle se mourait d’inquiétude en songeant que peut-être le petit ne serait pas digne de cette belle jeune fille qui l’aimait tant. L’aimerait-il, lui ? Son cœur n’était-il pas secrètement attaché à la « femme » qui lui avait donné des gages d’amour ? Oh ! cette épingle d’or ! Madeleine en rêvait ; cela devenait un cauchemar. Cependant Angelo paraissait joyeux de son mariage, même un peu fou ; mais il continuait à devenir maigre et pâle, avec des yeux grands qui n’en finissaient plus. Il se résigne, pensa Madeleine ; à moins que le petit misérable, déjà corrompu jusqu’aux moelles, ne s’accommode du mariage que dans l’espoir d’en tirer des avantages pour payer ses débauches.

Un jour qu’elle déménageait la chambrette d’Angelo pour l’installer dans sa propre chambre, désormais réservée au jeune couple, elle fureta rageusement dans tous les coins sans parvenir à retrouver l’épingle :

— Qu’en as-tu fait ? dit-elle brusquement à Angelo.

Lui, qui la regardait sournoisement, avec des rires cachés, devina tout de suite et répondit :

— Je l’ai perdue !

— Où cela ?

— Dans la rue.

— Dans la rue ! Tu la promenais donc avec toi !

Madeleine indignée, les bras croisés, ouvrait terriblement les yeux sur ce dernier témoignage de perversité.

— Ainsi, reprit-elle, tu avais l’audace d’aller voir ta fiancée, avec ce souvenir d’une autre… sur ton cœur, peut-être, misérable !

— Mais, ma tante… maman, balbutia Angelo qui ne pouvait