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s’habituer à lui donner ce titre, malgré les douces remontrances de Thilda. Cependant lorsqu’il y parvenait, les colères de Madeleine tombaient tout net et sa voix grondeuse se faussait dans un attendrissement subit. Angelo continua :

— Vous n’avez jamais voulu m’écouter. Si vous saviez pourtant !

— Tais-toi ! s’écria Madeleine. Elle tremblait maintenant qu’il lui fît aveu : elle ne se sentait plus assez de sévérité pour l’entendre. Elle reprit tout ébranlée par ses émotions :

— Tais-toi, je ne veux rien savoir ; mais écoute-moi. Tu es un homme aujourd’hui, on peut te parler raison. Ce qui est fait est fait : c’est passé, n’en parlons plus. J’aurais préféré que tu restasses sage jusqu’à ton mariage ; c’était mon idée, le but de toute ma vie. Mais enfin quoi ! tu m’as échappé ; le bon Dieu l’a permis : n’en parlons plus. Mais pour l’avenir, Angelo, oh ! vois-tu, si tu faisais comme les autres hommes, si tu faisais souffrir ta femme, si tu la trompais, si tu avais des maîtresses, non, je le sens, je n’y survivrais pas !

Et Madeleine continua, très solennelle :

— Jure-moi que tu ne reverras jamais la… personne qui t’avait donné cette épingle.

Le jeune homme alors éclata, furieux, tapant du pied ; il cria, levant les bras :

— Mais c’est impossible, puisque…

— Va-t’en ! sauve-toi, je t’écrase !… criait Madeleine hors d’elle les poings tendus, les yeux écarquillés d’indignation et d’horreur.

Ah ! si ce mariage n’eût pas été à la veille d’être conclu, comme elle l’eût fait rompre, et comme elle se sentait coupable vis-à-vis de cette malheureuse fiancée !

Mais le jour fatal était venu, tout était prêt, les robes cousues, le festin commandé, les invitations lancées. On parait l’église, on posait des tapis, on enguirlandait les cierges et le portique. Thilda se recueillait dans les troublantes rêveries de ses dernières heures de jeune fille.

— Je veillerai ! se répétait Madeleine avec une énergie farouche.

Enfin la cérémonie s’accomplit. Jamais on ne vit rien de plus charmant que ce petit couple trottinant ensemble, à la sortie de l’église, avec une gravité pleine de gaucherie.

Ils se serraient bien près tous les deux, comme s’ils avaient peur de se perdre.

Et dans la clarté du soleil, qui les bénissait d’une large tombée de rayons, tout cela se mêlait, les boucles brunes et la frisure blonde, le voile flottant et l’habit noir, la moustache fine et conquérante et la couronne blanche aux fleurs embaumées. On ne pou-