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vait s’y tromper : ceux là étaient bien unis. Lui souriait, elle aussi avec ses yeux mouillés, brillans sous la paupière mi-close.

On les ennuya beaucoup en les séparant, comme il convient, pour l’étiquette du dîner. Assis face à face, ils se regardaient bien naïvement, à pleins yeux. Angelo, lui, la mangeait bien mieux que ce que l’on servait sur son assiette. Elle en ressentait des frissons, parfois à lui voir remuer les lèvres. Autour d’eux on plaisanta beaucoup ; ils ne comprenaient pas. Cependant ils trouvèrent le dîner bien long. Il y avait là des gens graves qui péroraient lentement, sans pitié, et d’autant plus bavards qu’ils avaient mieux dîné. Madame Morimbeau s’épancha. Elle avait des ambitions littéraires et s’en ouvrit en des phrases doctes. Même elle promit, en permettant que l’on en prît acte, de dédier l’ouvrage qu’elle comptait présenter à l’Académie, au premier-né de Mme et M. Barbarin Junior.

Là-dessus, on porta un toast qui mit en feu les deux petits visages des nouveaux époux. Madeleine en eut pitié et les tira de table pendant le tapage des verres. Tous les deux, elle les emmena ; puis, sans phrase, sans discours, elle les conduisit à leur chambre.

— Je sais bien que ce n’est pas ainsi l’usage, dit-elle, mais, ma foi, je trouve les habitudes de province révoltantes. Vous voici mariés, toutes les herbes de la Saint-Jean y ont passé, vous vous appartenez, arrangez-vous, le reste ne regarde personne. Bonsoir !

Elle s’en allait si émue sans le vouloir dire, que son bougeoir tremblait dans sa main, lorsque son regard rencontra sur la cheminée, brillante comme une tache d’or dans la grande lumière de toutes les bougies des flambeaux, l’épingle maudite piquée insolemment toute droite sur la pelote de satin blanc de la mariée.

Ses jambes plièrent, elle eut au cœur un coup terrible. Du revers de sa main elle essuyait ses yeux. Puis une pensée brusque lui vint. Si Thilda apercevait cette épingle ! Elle tourna la tête vers les mariés. Ils étaient là tous les deux, plantés, arrêtés au milieu de la chambre, se tenant par la main, bien fort par exemple, mais ne se regardant pas, ne bougeant pas, presque dos à dos. En dessous leurs yeux luisaient. Tout près on eût entendu la jolie musique de deux pauvres petits cœurs détraqués qui battaient comme des fous.

Madeleine se glissa du côté de la cheminée et prestement, d’un coup, enleva l’épingle. Mais, à ce moment, Thilda l’avait suivie des yeux et, surprise, elle s’écria :

— Mon épingle !

Elle se rapprocha de Madeleine, qui demeurait pétrifiée, les doigts en l’air avec la boule qui tremblotait ; et elle ajouta, regardant Angelo derrière elle, qui ne lâchait pas sa main :