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courte vue ! et cependant avec quel contentement de lui-même il s’écrie : « J’ai démontré que l’état de maladie ne consiste pas dans l’introduction de matières étrangères dans le corps, ni dans un changement de formes des molécules organiques, ni dans une augmentation ou une diminution de la force du cœur et des artères, ni dans l’influence d’un principe raisonnable qui régisse les fonctions, ni dans un rétrécissement ou un élargissement des pores, ni dans une contraction des capillaires par le froid, ni dans un spasme qui occasionne une réaction de la part du cœur ou de vaisseaux profonds. » Tout cela était trop compliqué pour Brown, et pour lui toutes les maladies sont simplement sthéniques ou asthéniques ; il faut donc stimuler ou contre-stimuler l’organisme, et comme Brown exerçait dans un pays humide et froid, il stimulait tous ses malades, tandis que son adversaire Rasori, qui exerçait en Italie, les contre-stimulait tous[1].

L’examen de ces efforts impuissans de la médecine pour se constituer et se créer des lois, nous montre la profondeur de cette parole de Celse : « Si l’art de raisonner faisait les médecins, il n’y en aurait pas de plus grands que les philosophes. Mais il vaut mieux ignorer comment se fait la digestion et savoir ce qui se digère le plus facilement. Au lieu d’interroger les causes de la respiration, il est préférable de chercher les moyens d’en faire cesser la gêne et la lenteur. Or ces notions nous viennent de l’expérience. » Au lieu de se livrer à l’expérience, à l’observation seule, nos ancêtres ont trouvé dans leur ignorance même une tendance naturelle à tout expliquer sans que des faits précis vinssent arrêter l’essor de leur imagination dépendant ce n’est pas sans un grand enseignement pour notre esprit orgueilleux, nous dit M. Littré, qu’on voit s’écrouler ces empires scientifiques devant les irruptions de doctrines nouvelles ou régénérées, et naître, d’intervalle en intervalle, ces puissans esprits, législateurs temporaires, à qui finit toujours par échapper la science mobile et progressive[2].

Il faut arriver à notre époque contemporaine pour voir les médecins, familiarisés avec les sciences précises, la physique, la chimie, la physiologie, introduire la rigueur, la précision dans leurs recherches et considérer que la pathologie atteindra son idéal lorsqu’elle assimilera en tout ses observations aux expériences de la physiologie. L’histoire nous montre que plus les systèmes sont éloignés de cet

  1. Voyez Littré, article Maladie du Dictionnaire en trente volumes et Journal hebdomadaire de médecine, article sur le Brownisme, 27 février 1830.
  2. Voyez Littré, traduction d’Hippocrate, t. IV, Remarques rétrospectives, — le Journal hebdomadaire de médecine, t. VI, p. 321, article sur Cullen ; — Revue des Deux Mondes du 15 avril 1846, article sur la Physiologie ; — Journal des Débats, 12 avril 1864.