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accomplis dans les plaines ; du Pô, pendant qu’ils en étaient les maîtres. Ils avaient dû faire encore davantage pour le pays même qui était leur berceau et le centre de leur domination. On peut supposer aussi qu’ils y avaient creusé de ces grands canaux de drainage qu’on rencontre partout dans les environs de Rome, et qui, suivant l’expression d’un observateur sagace, font ressembler tout le bassin du Tibre et les pentes inférieures du massif du Mont-Albain à une gigantesque garenne[1]. Mais ces travaux, par leur nature même, sont délicats et fragiles. On ne dompte la nature qu’à la condition de lutter sans cesse contre elle ; dès qu’on se relâche un moment, elle reprend tout son empire. Quelques années de négligence suffisent pour perdre le fruit de plusieurs siècles d’efforts ; les canaux s’engorgent, les étangs se remplissent, et les miasmes recommencent à empester l’air. Au XVIIIe siècle, les descendans des grands Médicis ayant cessé d’encourager les travaux entrepris par leurs ancêtres pour assainir les environs du lac Castiglione, et laissé s’obstruer le fosso di navigazione qui reliait ce lac à une rivière voisine, on remarqua qu’en quelques années, la population de Grossetto tomba de trois mille âmes à sept cents habitans, et que les campagnes environnantes, au lieu de semer tous les ans treize cents mesures de blé, n’en semaient plus que trois cents[2]. Cet exemple nous montre avec quelle rapidité les choses marchent dans ce pays. C’est ce qui explique comment, pour les villes étrusques, la dépopulation et la ruine sont venues si vite et ont été parfois si complètes. La décadence a commencé pour elles aussitôt après leur défaite par les Romains. Vers la fin de la république, plusieurs étaient déjà désertes ; la malaria, plus mollement combattue, avait repris sa force. Virgile, parlant de Graviscœ, le port de Tarquinies, qui devait être situé près de l’embouchure de la Marta, non loin de Corneto, dit que c’est un lieu malsain. Assurément, il ne devait pas l’être quand les vaisseaux de la Grèce ou de Carthage apportaient sur ces côtes les marchandises de leur pays ; il l’était devenu depuis que les Étrusques, en perdant leur indépendance, avaient aussi perdu

  1. Ces petits tunnels, qui ont en général 1m,50 de haut et qui s’étendent quelquefois pendant plusieurs kilomètres, sont connus depuis longtemps. Ils sont si nombreux dans la campagne romaine qu’il était difficile qu’on ne les remarquât pas, mais on n’en soupçonnait pas la destination. On s’accorde à croire aujourd’hui qu’ils formaient une sorte de drainage destiné à écouler l’humidité du sol et à combattre la malaria. On peut consulter à ce sujet les travaux de M. Tommasi Crudeli, directeur de l’Institut anatomique et physiologique de l’université de Rome, et un article de M. de La Blanchère dans les Mélanges d’archéologie et d’histoire que publie notre École française.
  2. Je tire ce renseignement de l’ouvrage de M. Noël des Vergers sur l’Étrurie et les Étrusques.