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DANS LE MONDE.

la fin, et alors le besoin ne se fait pas trop sentir de remonter jusqu’au premitr chapitre ; ce ne serait même pas très conforme à l’usage. Et puis, vous êtes plus jeune que moi d’au moins quatre ans… Il y a peut-être encore d’autres objections… Mais ce qui me frappe et m’eilVaie, c’est que, d’un jour à l’autre, nous pouvons être séparés ; le hasard, votre carrière, que sais-je ? mille choses peuvent se mettre entre nous. Je ne parle pas d’une désallection, car alors laquelle le mariage, bien loin d’être un remède, constituerait une aggravation de peine… Enfin, sans aucun motif précis de crainte, je me suis surprise à trembler, et naïvement je vous le dis. Je ne regrette pas le don que je vous ai fait de ma personne ; lorsque je vous ai aimé, je n’étais pas d’humeur à me marier : il fallait bien que je fisse ce que j’ai fait. Maintenant, je vois les choses autrement. Mais vous, sans doute, vous ne les voyez pas sous le même aspect que moi ; vous avez une maîtresse agréable, cela vous suffit. On se marie toujours dans un intérêt quelconque ; or, quel intérêt pourriez-vous avoir à m’épouser ?

— Eh ! mais… un intérêt que, seule, la délicatesse de vos sentimens peut vous empêcher de voir et que ma délicatesse à moi me commande de ne pas oublier. JN’êtes-vous pas très riche ?

— Hol

Ceci fut dit avec une grâce ineffable. Il y avait de tout dans cette interjection de Madeleine : de l’étonnement, du reproche, de l’humilité, de la prière. — Roger avait trouvé fort à propos ce prétexte plus qu’honnête de la fortune de Madeleine ; en réalité, il n’y avait jamais songé avant ce moment-là, mais il fut bien aise de l’avoir rencontré juste à point pour couvrir ses répugnances. Il était trop jeune et trop fier pour sourire aux miUions de sa maîtresse, et il n’était plus assez aimant pour s’arrêter avec joie à l’idée de rendre éternels des liens qui ne devaient ce qu’ils avaient pu garder de charme qu’à leur fragihté.

— Y songes-tu ? dit-il en appuyant doucement sur son épaule la tête de la jeune femme. T’épouser ! moi qui suis, auprès de toi, gueux comme Job ! Pour qu’on dise, n’est-ce pas, que tu fais une folie en épousant un garçon de vingt-trois ans, déjà très fort en arithmétique ? Ah ! je sais bien qu’il y a ta beauté qui serait, à elle seule, une explication suffisante, mais, outre que l’on ne s’y tiendrait pas, ce serait l’explication de ma conduite, non de la tienne. Est-ce qu’une duchesse, riche comme un banquier Israélite, peut épouser sans ridicule un sous-lieutenant de mon âge ? Ce rôle de Dame blanche ne serait-il pas singulièrement apprécié ?

Il ne parlait pas de son marquisat et. affectait de compter pour rien sa fortune, qui cependant devait être un jour assez ronde. On