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hommes spéciaux, lorsqu’il s’agit d’entrer en relation avec une bête de conséquence.

— Quelle merveille vous avez là !

— N’est-ce pas ? Seulement, je ne peux pas la monter sans que cola tourne au drame ; tantôt elle m’emballe, tantôt elle pointe, tantôt elle bondit, enfin toujours en défense. Je monte bien, mais j’aime mes aises, et elle m’en prive. Bref, le baron ne montant plus que des chevaux pacifiques, par suite de rhumatismes prématurés, et ne pouvant, par conséquent, se charger de lui faire le caractère, je suis décidée à la vendre, à moins que je ne trouve quelqu’un pour la civiliser.

— Nous essaierons… Mais, dites-moi, ajouta Roger en sortant de l’écurie, vous n’avez pas d’autre cheval de selle ?

— Non.

— Eh bien ! écoutez, nous allons faire une chose. Je vous prête une bête à moi, mise au bouton, comme on dit à Saumur ; ça marche comme un cheval à mécanique qui serait inscrit au Studbook, sans s’occuper du sexe de la personne qui est dessus. En retour, vous me confiez Arabelle. Deux ou trois fois par semaine, je viendrai de Versailles vous montrer les progrès de mon élève ; la distance lui fera du bien. De temps en temps, nous ferons un tour ensemble, vous sur Coqueluche (c’est le nom de ma bête), moi sur Arabelle : ce sera ma prime de dressage. Est-ce entendu ?

— Et le baron, qu’est-ce qu’il dira ?

— D’abord, avec lui, il paraît que c’est vous qui faites les demandes et les réponses. Et puis, n’aime-t-il pas les mœurs anglaises ? Eh bien ! vous lui en donnerez… Si même il vous plaisait de les assaisonner à la française !.. Mais à vos ordres en tout et pour tout. Enfin, je sais que vous montez avec Rohannet, lequel n’est pas beaucoup plus vieux que moi. Donc, pas d’objections.

— Allons ! c’est convenu.

L’échange de chevaux eut lieu dès le lendemain ; mais Roger vint plusieurs fois sans pouvoir déterminer Jane à sortir avec lui. Il arrivait vers dix heures, en tenue équestre de gommeux matinal, sonnait à la grille, mettait pied à terre et attendait dans le salon que Jane, prévenue, descendît. Elle arrivait bientôt, déjà tout habillée, caressait Arabelle et lui donnait du sucre ; puis, Roger se remettait en selle et faisait faire à la jument un temps de trot et un temps de galop dans l’avenue, le plus sagement possible, tandis que Jane, sur sa terrasse, suivait de loin ces évolutions intéressantes.

Un matin de la seconde semaine, au lieu de descendre, elle pria Roger de monter. Il la trouva, non dans la petite biblio-