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caractère de sociétés de secours mutuels. A quoi tient ce lent développement de la mutualité en France ? A bien des causes sans doute. Au peu d’aptitude de notre pays pour l’association, aux formalités compliquées de nos lois générales et spéciales sur la matière, mais peut-être aussi à certains préjugés qui règnent encore dans la classe ouvrière à l’encontre des sociétés de secours mutuels. Une déposition bien curieuse a été faite à ce sujet devant la commission des quarante-quatre par un orateur attitré de réunion publique, auquel le président de la commission a cru devoir décerner je ne sais pourquoi, cet éloge, « qu’il traitait ces questions d’une façon tout à fait supérieure. » Le citoyen F… a reproché aux sociétés de secours mutuels de développer l’égoïsme chez leurs membres, de détruire l’esprit de solidarité, et il en a donné pour preuve ce trait assez curieux que les membres inscrits à une société de secours mutuels refusaient de participer à toute souscription en faveur d’un camarade victime d’un accident. Il a ajouté que la société de secours mutuels, fondée dans la corporation à laquelle il appartenait (celle des peintres en bâtimens) ne faisait aucun progrès et que, pour sa part, il s’en félicitait. Fort heureusement, il n’en est pas ainsi dans toutes les corporations, et les vues supérieures du citoyen F… ne sont pas adoptées par tous les ouvriers.

Comment se décompose ce personnel des 1,152,208 membres affiliés aux sociétés de secours mutuels ? Il en faut défalquer d’abord les membres honoraires qui versent une cotisation sans avoir droit aux secours. Ils sont au nombre de 160,516. Je reviendrai tout à l’heure sur leur rôle et montrerai l’efficacité de leur intervention ; mais ne parlons pour l’instant que des membres participans. Ceux-ci se divisent en 832,172 hommes et 156,520 femmes. Cette disproportion entre le nombre des hommes et celui des femmes est un des côtés les plus saillans, et, disons-le tout de suite, les plus défectueux de l’organisation des sociétés de secours mutuels. En effet, sur 7,279 sociétés, il n’y en a que 1,579 comprenant des hommes et des femmes ; quant à celles ne comprenant que des femmes, leur nombre ne dépasse pas 280. Pourquoi si peu de femmes affiliées aux sociétés de secours mutuels ? Il y a à cela plusieurs raisons. La première n’est pas à l’honneur des hommes : c’est leur répugnance à ouvrir aux femmes les rangs des sociétés fondées par eux, les femmes étant réputées plus sujettes aux maladies que les hommes et, par conséquent, plus onéreuses à la société. La raison fût-elle bonne, elle n’en serait que plus mauvaise, car plus les femmes sont sujettes aux maladies ; plus il serait à désirer de les voir entrer dans les sociétés de secours mutuels (dût-on élever un peu la cotisation) ; mais encore n’est-elle pas fondée en expérience,