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lui donnait les avantages et la force de la légalité. Pour la première fois, la république avait cette fortune d’être consacrée, non comme un fait accompli par la violence, comme une œuvre d’insurrection et de révolution, mais comme une œuvre de nécessité à laquelle bien des esprits modérés n’avaient pas refusé de concourir. Les républicains arrivant au gouvernement trouvaient cette question constitutionnelle tranchée, la paix civile assurée, la dignité nationale suffisamment sauvegardée, des finances prospères, un pays qui, fatigué d’incertitudes, acceptait de la meilleure volonté le régime qui venait de lui être donné. Ils avaient, de plus, une majorité dans les chambres et ils ne rencontraient devant eux que des adversaires découragés, déconcertés par l’échec de leurs espérances. Tout leur était facile, et ils n’avaient qu’à le vouloir, à se pénétrer de la situation du pays dont ils se trouvaient les maîtres improvisés, pour faire de la république nouvelle un régime qui aurait en des chances de durée, qui pouvait même servir l’influence et la bonne renommée de la France dans le monde.

C’était le moment d’un choix décisif. Prétendre réveiller les souvenirs de la république révolutionnaire et propagandiste qui est devenue si promptement conquérante, on ne pouvait certainement plus ; c’eût été une chimère surannée et une impossibilité. On aurait été vraisemblablement bientôt arrêté ; mais ce qui était réellement nouveau, possible et utile, c’était d’offrir à l’Europe l’exemple d’une république régulière et libérale, sachant s’approprier toutes les forces sociales et les traditions de la France, rassurante pour tous les intérêts, tolérante pour les croyances aussi bien qu’économe de la fortune nationale, ménageant le pays dans ses mœurs comme dans ses idées. A la propagande par la révolution et par la guerre on substituait d’un seul coup la propagande la plus légitime : celle de la raison éclairée, de la bonne politique et du bon gouvernement. Croit-on qu’il eût été sans profit pour l’influence et l’autorité de la France d’offrir, au milieu des vieux états monarchiques de l’Europe, ce spectacle d’un grand pays sachant vivre en paix sous la république, faisant honorablement ses affaires par une diplomatie attentive comme par une administration équitable, conciliant dans sa vie intérieure la libéralité des lois et les garanties d’un ordre conservateur ? C’eût été en vérité la plus efficace des propagandes, et pour un pays éprouvé le meilleur moyen de retrouver les sympathies aussi bien que la considération des peuples. C’est là ce que les républicains n’ont pas compris. Ils se sont figuré que, puisque le pouvoir tombait tout à coup en leurs mains, ils étaient libres d’en abuser dans des intérêts de fausse popularité. Ils ont cru qu’ils pouvaient impunément tout se permettre, tendre tous les ressorts de la fortune publique, ébranler toutes les conditions de la paix religieuse et sociale, pratiquer la politique des exclusions, des épurations à outrance, — en se donnant au besoin le luxe de quelque expédition