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MADAME DE STAËL

Ce que je voudrais faire ici, ce n’est point une biographie de Germaine de Staël, ni précisément une étude de son caractère, mais un essai de définition de sa pensée littéraire, politique et philosophique. Les « esprits penseurs, » comme elle aime à dire, l’ont continuellement préoccupée. C’est l’esprit penseur, infatigablement curieux de pensée, et des pensées les plus diverses, que je voudrais étudier en elle, persuadé d’ailleurs que c’est d’elle ce qui a été le moins usé ou entamé par le temps, et ce qui reste. La postérité abrège ; et c’est son droit, puisqu’on écrit pour elle ; et c’est son devoir aussi ; et, quoi qu’il puisse paraître, un devoir pieux, car elle n’abrège que pour ne pas tout perdre. Elle oublie la politique de Chateaubriand. J’ose avoir la crainte ou l’espoir qu’elle oubliera celle d’Hugo. Il me semble que pour Mme de Staël ce sera l’inverse. Delphine et Corinne pâlissent. Les considérations sur l’histoire, la politique et la morale, que Mme de Staël a semées prodigalement dans tous ses ouvrages, attireront toujours l’attention. Il n’y a pas si longtemps qu’Edgar Quinet, au cours d’un long ouvrage sur la Révolution française, avait sans cesse le regard sur elle, la nommant dès la première page, toujours préoccupé de la réfuter, et comme gêné de son souvenir. De quel œil elle a vu son temps, compris l’âme et l’esprit de ses contemporains, regardé en arrière la série des causes prochaines ou reculées, essayé de pénétrer l’avenir, si couvert alors et si caché, voilà ce que je voudrais reconnaître et définir.