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Le fait est que les Américains très instruits le sont rarement avec discrétion, de même que ceux qui ont de très bonnes manières exagèrent volontiers le refinement. La mesure en tout est l’un des derniers fruits des vieilles civilisations.

Lowell lui-même, si brillant, si spontané, semble faire quelquefois parade d’érudition : M. Stedman, dont on ne peut trop louer l’impartiale critique, et que nous aurions dû nommer en outre parmi les poètes naturalistes, a beau nous affirmer[1] qu’il n’y a de sa part aucun pédantisme, mais qu’ayant étudié tout ce qui touche aux thèmes qu’il veut traiter, humaniste, polyglotte, familier avec les littératures anciennes et modernes, scholar par excellence, il indique les sources où il puise avec une abondance qui ne serait en ce cas qu’un excès de loyauté ; rien ne nous paraît fatigant comme ce don de mémoire excessif, cette fureur de citation, C’est un défaut de jeunesse. L’Amérique savante s’en guérira.


IV

Lowell, on le sait, est riche de son propre fonds. Nous avons eu récemment l’occasion de le louer ici comme poète[2]. Non content de chanter la nature en beaux vers, il l’a abordée plus familièrement dans des études en prose (out-door studies). Deux de ces études surtout : My Garden Acquaintance, A Good word for winter, méritent d’être citées. Le goût que leur auteur éprouva tout enfant pour un livre de White, l’Histoire naturelle de Selborn, lui fit comprendre l’intérêt qu’il pouvait y avoir à concentrer l’observation du naturaliste dans un étroit espace, qui devient grand comme le monde par suite des découvertes qu’on y fait, et l’humour qui résulte de l’importance disproportionnée qu’on attribue à ces découvertes. Il a donc inscrit avec soin les événemens survenus dans son jardin, parmi la gent ailée surtout ; et, à propos de gazouillemens, il trouve l’occasion de réfuter avec verve les jugemens portés à la légère par certains Européens, qui déclarent en passant que l’Amérique ne possède pas d’oiseaux chanteurs. Certes, l’Europe en a davantage, parce que les forêts sont moins nombreuses. Les oiseaux chanteurs aiment Le voisinage de l’homme, qui les préserve par sa présence des bêtes de proie et qui leur assure une nourriture plus abondante ; mais c’est une erreur commune de croire que plus il y a d’arbres, plus il y a

  1. Poets of America, by E.-C. Stedman ; Boston, 1885, Houghton, Mifflin.
  2. Voir, dans la Revue du 1er mai 1886, les Poètes américains.