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le voilà, donc surpris, ce secret qui peut la faire riche et lui valoir l’amitié du chasseur, dont le passage dans cette campagne solitaire a été l’unique événement de sa jeune vie ! D’où vient que les paroles attendues refusent de s’échapper de ses lèvres ? Livrer le héron blanc, qui est venu se percher sur une branche si près d’elle et guetter, lui aussi, le lever du soleil ? .. Non, elle ne le peut pas ! Coûte que coûte, elle gardera le secret des oiseaux.

Dans cette idylle de quelques pages, miss Jewett montre des qualités de peintre et de poète. L’émotion vibre à la fin sans que l’auteur ait évoqué pour cela d’autre sentiment que celui de la loyauté, un point d’honneur instinctif et délicat. C’est assez. La nature reste prépondérante, la petite Sylvie n’y tient guère plus de place qu’un brin d’herbe, mais les battemens de ce cœur enfantin si honnête et si pur remplissent cependant le paysage immense et ajoutent à sa sérénité impassible, largement et simplement rendue, quelque chose de plus grand que lui, quelque chose de divin.

Nous ne croyons pas nécessaire de multiplier les exemples. Ceux qui précèdent feront suffisamment connaître cette bibliothèque, trésor de tous les âges, qui réunit fraternellement côte à côte tant de noms, les uns illustres, les autres modestes, sous ce titre où l’on sent déjà comme une bouffée de grand air : Out-Door library. On ne saurait dire qu’elle n’ait pas d’équivalent chez nous, Michelet ayant écrit l’Insecte et l’Oiseau, M. Theuriet ayant donné ici même l’Automne dans les bois et la Promenade à la recherche d’un coléoptère ; mais il serait désirable que les livres de cette sorte devinssent plus nombreux : ce sont de bons et utiles compagnons en voyage et au coin du feu ; ils vous emportent loin de tout ce qui dans la vie sociale est artificiel et discordant ; ils vous laissent fortifiés ; leur influence est moralisatrice et religieuse, quoiqu’ils n’aient rien de commun avec aucun sermon.

Remarquons par parenthèse que les romans bibliques, comme ceux de Mrs Wetherell, de Mrs Stowe, deviennent de plus en plus rares, et qu’ils ont perdu certainement de leur vogue. Le règne de cette Bible vivante, la Nature, s’est élevé en Amérique auprès de celui de la Bible écrite depuis qu’Emerson a dit : « Les générations précédentes ont contemplé Dieu et la nature face à face ; nous ne les voyons que par leurs yeux. Pourquoi n’entrerions-nous pas aussi en relation originale et directe avec l’univers ? — La nature est le symbole de l’Esprit. — L’influence morale de la nature sur chaque individu est cette somme de vérité qu’elle illustre pour lui. Qui peut estimer cela ? Qui peut deviner combien de fermeté le rocher battu par la mer a enseigné au pêcheur ? .. — Le monde procède du même esprit que le corps de