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son intégrité le traité de Berlin, seul point sur lequel tout le monde soit d’accord, seule garantie de l’ordre en Orient et de la paix en Europe. C’est bien possible; malheureusement, c’est là toujours la difficulté. On ne peut rétablir l’autorité du traité de Berlin dans les Balkans que par une intervention, probablement par une occupation plus ou moins prolongée, et sur tout cela on n’est pas près de s’entendre. Vainement la question s’agite entre la Russie, qui porte dans cette affaire une ténacité aussi patiente qu’inflexible, la Turquie qui met sa politique dans l’inertie, et les autres puissances qui semblent plus fixées sur ce qu’elles ne veulent pas que sur ce qu’elles veulent : on n’arrive à rien, on n’est pas plus avancé aujourd’hui qu’hier. La Russie a récemment proposé à Constantinople l’envoi d’un haut commissaire ottoman, qui serait accompagné d’un délégué russe, du général Ernroth, à Sofia, pour rétablir l’ordre légal; la Porte hésite à prendre, comme puissance suzeraine, la responsabilité d’une combinaison qui commencerait par une intervention diplomatique, pour finir, sans doute, par une occupation militaire, et les autres puissances attendent ce qu’on leur proposera. M. de Bismarck a paru d’abord assez dispose à appuyer la proposition rus e auprès des cabinets, si la Porte le lui demandait. En est-il de même aujourd’hui, après l’entrevue manquée de Stettin et l’entrevue ministérielle de Friedrichsruhe? Les résolutions du chancelier d’Allemagne ont certes leur importance dans ces affaires encore si obscures, où toutes les politiques restent en présence avec leurs arrière-pensées, leurs jalousies et leurs défiances. Ce qu’il y a de bien clair, c’est qu’on n’est pas délivré de cette complication bulgare, que ce qui peut satisfaire la Russie n’est pas de nature à rassurer l’Autriche, et que cette question, tant qu’elle n’est pas à peu près finie, reste, non pas le seul danger, mais un des dangers les plus immédiats pour la paix européenne, déjà si précaire.

Ces affaires d’Orient, qui se résument et se concentrent aujourd’hui dans la question bulgare, elles ont toujours sans doute une importance très sérieuse pour toutes les puissances de l’Europe, par les intérêts d’influence et d’équilibre qu’elles mettent en jeu ; elles ont naturellement une importance particulière pour un empire comme l’Autriche, qui a un rôle à demi oriental, qui comprend dans ses vastes frontières tant de populations différentes d’origine, de nationalité et d’instincts. Concilier toutes ces races sans les subordonner les unes aux autres ; faire marcher ensemble Hongrois, Polonais, Allemands, Tchèques, Slaves de toute sorte, sans asservir à leurs aspirations multiples l’intérêt d’état, la politique traditionnelle de l’empire représentée et personnifiée dans l’empereur, c’est certes une œuvre aussi difficile que délicate. Elle est devenue plus difficile encore depuis que la liberté a pénétré dans le vieil empire qui a cessé d’être une puissance allemande, depuis qu’il y a une presse libre, des parlemens à Vienne et