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qu’il en coûtât un écu. Après avoir achevé son fort, le duc rentra dans ses états.

Dès le milieu du mois de février 1598, quand les neiges couvraient encore tous les passages, le duc de Savoie quitta Chambéry avec 7,000 hommes de pied, 1,000 chevaux et du canon, et alla camper devant Aiguebelle. Créqui entra en Savoie pour lui faire obstacle, mais il ne put empêcher le duc de prendre la place, et il tomba dans une embuscade qui lui fut tendue; il fut contraint de se rendre avec plusieurs autres, et fut conduit au château de Turin. Lesdiguières eut sa revanche ; il partit en grand secret de Grenoble, se porta devant le fort Saint-Barthélémy, et le prit d’assaut avec de simples échelles et des pétards, sans tirer un coup de canon, comme il avait promis de le faire. Cet exploit du « renard du Dauphiné » fit beaucoup de bruit en son temps.

Henri IV eut quelque peine à résoudre le maréchal d’Ornano à quitter la charge de lieutenant-général en Dauphiné ; il l’envoya en Guyenne, et donna cette charge à Lesdiguières, qui fut reçu par le parlement et fit son entrée à Grenoble avec une grande solennité, peu de temps après la prise du fort Saint-Barthélémy. La paix de Vervins fut conclue peu après, et le duc de Savoie s’y trouvant compris, Lesdiguières put s’appliquer au gouvernement de sa province et au soin de ses maisons. Il se rendit à la cour pendant l’année 1599, en même temps que le duc de Savoie; l’année suivante, le roi lui-même vint à Lyon, Lesdiguières alla l’y trouver et conféra avec lui sur les affaires du marquisat de Saluces, qui traînaient en longueur. Henri IV lui commanda de se saisir de Montmélian, pendant qu’il investirait lui-même Chambéry et que Biron irait saisir Bourg en Bresse, Ces trois opérations réussirent à merveille ; Lesdiguières eut le rôle le plus difficile, mais il fit capituler Montmélian, et cette courte guerre se termina par un traité très avantageux à la France et par l’échange du pays de Bresse contre le marquisat de Saluces. Le roi reprit le chemin de Lyon pour y accomplir son mariage avec Marie de Médicis.

La paix de Savoie porta très haut la réputation de Lesdiguières ; les souverains lui envoyaient des complimens, Genève le traitait presque en souverain ; trente ans passés sous le harnois ne l’avaient pas empêché de soigner ses affaires particulières. Il avait déjà de grandes possessions en Dauphiné ; il acheta la baronnie de Coppet, sur le lac Léman, aux seigneurs de Berne ; il acquit en Languedoc la vicomte de Villemur. Il tenait les clés des Alpes, et pouvait être pour le duc de Savoie ou un allié mile ou un ennemi dangereux. Il ne se laissa entraîner ni dans la rébellion de Biron, ni même dans les intrigues du duc de Bouillon, son coreligionnaire. Quand celui-ci