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commença à devenir inquiétant, le roi donna à Lesdiguières des instructions très précises pour maintenir dans le devoir la turbulente noblesse protestante du Dauphiné (1602). Lesdiguières s’employa aussi à terminer un vieux différend entre le prince d’Orange et ses sujets réformés ; cette querelle, peu importante en elle-même, prit quelque importance parce que Blacons, le gouverneur d’Orange, était soutenu par la noblesse protestante de la province. Lesdiguières le mit à la raison et remit la ville sous l’obéissance du prince d’Orange. Il montrait déjà qu’il n’était nullement disposé à suivre les réformes partout où ils voudraient le conduire. Il n’en est pas moins certain qu’il fut sur le point d’être disgracié en 1604 ; Henri IV commençait-il à s’inquiéter de l’autorité absolue qu’il prenait dans sa province, de ses rapports intimes avec les seigneurs protestans ? « M. des Diguières m’a assuré qu’il n’a receu ni la lettre de M. de Bouillon et qu’il n’a aucune communication avec luy ; que sy quelqu’un laquay s’est vanté de luy en porter, il désirerait que l’on les eust prise, car la vérité est telle que couvertement ny autrement il n’a part avec ledict sieur de Bouillon[1]. » Malgré ces protestations, le roi se défiait du « renard du Dauphiné ; » mais rien ne vint justifier ses soupçons, et la faveur de Lesdiguières ne souffrit qu’une courte éclipse. Il fit donner à son gendre Créqui la survivance de sa charge (Créqui prêta serment, le 27 mai 1600, à Fontainebleau), et obtint pour sa petite-fille Françoise de Créqui la main du marquis de Rosny, fils du duc de Sully.

Henri IV avait choisi Lesdiguières comme un des principaux instrumens de ce qui a été appelé son « grand dessein. » Lui en confia-t-il tout le détail ? Qui peut le savoir aujourd’hui ? Est-il vrai, comme le raconte Deageant, que Lesdiguières conseilla au roi d’aller en Espagne « frapper la beste au cœur ? » qu’il conseillait également de faire un roi de Lombardie ? Il est certain qu’Henri IV voulait occuper la maison d’Autriche en Italie, qu’il avait besoin de l’appui du duc de Savoie et avait résolu de l’intéresser à son parti, en donnant sa fille aînée au prince de Piémont. Lesdiguières fut chargé des premières ouvertures sur ce sujet. Il envoya aussi l’un de ses officiers dans le duché de Milan pour en reconnaître les places. Après la mort d’Ornano, il fut mandé par le roi pour recevoir le bâton de maréchal de France ; il fut reçu à Fontainebleau et alla prêter serment au parlement de Paris. Quand il prit congé du roi pour s’en retourner en Dauphiné, celui-ci, comme frappé d’un pressentiment, lui montra ses enfans, en lui disant qu’ils auraient bientôt besoin de ses bons serviteurs. Le maréchal répondit

  1. Lettre du président de Saint-Jullien au roi, 12 septembre 1604.