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L'EMPEREUR FREDERIC

Pascal a eu tort de dire que, sans un petit grain de sable, Cromwell eût ravagé toute la chrétienté et que les Stuart n’eussent jamais été rétablis ; Cromwell ne pensait point à ravager la chrétienté et ce n’est pas de la gravelle qu’il est mort. Mais Pascal avait raison de penser que l’accident joue un grand rôle dans les affaires de ce monde, et que les faiseurs de prédictions doivent compter avec la témérité du hasard, qui est un grand brouillon et qui s’amuse à déranger les plus belles combinaisons. « Rien n’est plus incertain, écrivait un philosophe, que la pauvre certitude de l’esprit humain. Ne dites jamais : J’ai des amis, ma fortune est sûre ; mon ouvrage est bon, il sera bien reçu ; on me doit, on me paiera ; mon amant sera fidèle, il l’a juré ; le ministre m’avancera, il l’a promis, toutes paroles qu’un homme qui a un peu vécu raie de son dictionnaire. « Il ne faut pas dire non plus : « Je connais ce prince, son caractère, ses penchans, ses goûts, ses idées ; quand il sera sur le trône, voilà ce qui arrivera. » Il est possible qu’en devenant roi, le prince change de caractère et d’idée ; il est possible aussi qu’il n’en change pas, mais qu’un grain de sable ou autre chose le contraigne de renoncer à ses projets et le mette dans l’impuissance de rien faire. Il y a des événemens probables qui n’arrivent pas.

Quand on apprit, au mois de mars 1887, que le prince impérial d’Allemagne souffrait d’un enrouement opiniâtre qui le condamnait au repos, à la retraite, personne ne se douta que cette indisposition était le premier symptôme d’une grave et mystérieuse maladie, dont l’Europe tout entière s’occuperait longtemps. Comme il se mêle des incidens comiques à tous les drames, les savans docteurs qui le soignaient se chargèrent d’égayer la galerie par leurs controverses acharnées et leurs acrimonieuses querelles, et on put constater en cette