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ami, M. Bonafous, me fit bien vite oublier les fatigues de mon voyage. Le célèbre agronome piémontais me traita comme un fils, ne se lassant jamais de chercher tous les moyens de rendre mon séjour agréable. Chaque jour, il réunissait à sa table quelques-uns de ses amis parmi les notabilités de la science, et me faisait assister à la conversation la plus variée et la plus attrayante. Au bout de quinze jours de cette charmante vie, reprenant mon attirail de voyageur, je pris congé du plus aimable des hommes, et m’acheminai par la route de Suze, où je vins passer la nuit. Le lendemain, j’étais à quatre heures du matin sur la route du Mont-Cenis, et, à dix heures, je saluai la Grand’Croix, le col oriental du versant italien. Ici, plus aucune trace de bois ni de taillis, mais devant moi un plateau verdoyant, couvert d’une végétation dans tout l’éclat d’une floraison éblouissante. Après une demi-heure de marche sous un soleil splendide, je m’arrête au-devant de l’hospice, dont la longue et blanche façade se détache sur la route. Le frontispice de l’établissement porte l’inscription suivante :


VIATORI SUCCURERE

ALPIUM PENNINARUM
DOMITOR JUSSIT
ANNO REIPUBLICÆ — IX (1804)
V. D.

BENEFICIORUM MEMOR
— MONT-BLANC.


En portant mes regards un peu plus haut, je trouve sur un cadran solaire une autre inscription, consolante et gracieuse, à l’adresse des voyageurs fatigués ou menacés par la tempête :


TEMPORE NIMBOSO SISTITE GRADUM
UT MIHI SIC VOBIS HORA QUIETIS ERIT.


J’entre et je demande le prieur, qui m’accueille avec la plus grande affabilité. Son ami aussi, M. Bonafous, l’avait prévenu de mon arrivée par une lettre qu’il venait de recevoir. Après le dîner, je me décide à grimper à Ronche, malgré les observations du prieur, qui voulait me retenir, jugeant bien suffisante pour la journée la marche que je venais de faire. Mon enthousiasme parlait plus fort que toutes les considérations ; je voulais avant tout connaître la perle du Mont-Cenis. Résister m’était impossible, je l’avais sous la main !

Pour l’atteindre, on suit la grande route, et, à quelques pas de