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Torcy, en quelques lignes, des vertus royales dont elle est l’inspiratrice et des difficultés d’une situation dont le dénoûment lui paraît dépendre, avant tout, de l’Angleterre, se contentera de le renvoyer à Bergueick, qui représente son maître à Versailles[1].


« Madrid, 22 mars 1712.

« Je ne puis exprimer à votre Majesté combien je suis sensiblement touché des cruels malheurs qui se succèdent de si près les uns aux autres. Votre douleur me pénètre plus vivement que vous ne sauriez l’imaginer, et je songe continuellement aux peines d’un grand-père que je voudrais voir comblé de toute sorte de bonheurs. Je prie Dieu qui a bien voulu, au milieu de tous ces malheurs, nous conserver le nouveau dauphin et le faire vivre pour votre consolation et pour le bien de deux monarchies, dont les bonheurs et les disgrâces doivent être entièrement communs. Je le prie, sur toutes choses, de répandre ses bénédictions sur vous, dont la santé est si précieuse et si nécessaire. Je souhaite aussi que ces funestes événemens n’apportent point de difficultés à la paix. Il est, à la vérité, à craindre qu’ils ne changent les dispositions favorables qui s’y rencontraient jusqu’à présent. Mais j’espère que Dieu daignera mettre une heureuse fin à un ouvrage aussi important que celui-là et bénira les justes mesures que vous prendrez pour cela. Je supplie votre Majesté de me rendre toute la justice que je mérite sur les sentimens que j’ai pour elle, et de vouloir bien me continuer toujours son amitié qui m’est si chère.

« PHILIPPE. »


« Ne nous enverrez-vous jamais de courrier, monsieur, avait écrit, la veille, Mme des Ursins à Torcy, que pour nous apprendre de funestes nouvelles ? Je crains d’en voir venir un quatrième pour nous apprendre la mort du dernier dauphin… J’ai peur, comme vous, que de si tristes événemens ne donnent une nouvelle matière à nos ennemis d’embrouiller la paix. Cependant, on prétend que la reine Anne sera encore plus forcée de la procurer en montrant une fermeté inébranlable, puisque, sans cela, cette princesse courrait risque elle-même d’être détrônée… C’est ce qui me fait espérer que Sa Majesté britannique prendra d’autant plus son parti pour elle, après avoir joué un si grand rôle. Le roi et la reine d’Espagne en ont soutenu, depuis leur avènement à la couronne, un

  1. Le comte de Bergueick avait dirigé l’administration financière des Pays-Bas. Il passait pour très honnête homme et possédait l’entière confiance de Philippe.