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noms historiques contribuent au décor du règne. Napoléon en racole beaucoup, et des plus illustres, dans la vieille noblesse de cour, de robe et d’épée : il peut énumérer, parmi ses magistrats, M. Pasquier, M. Séguier, M. Molé ; parmi ses prélats, M. de Boisgelin, M. du Barral, M. du Belley, M. de Roquelaure, M. de Broglie ; parmi ses officiers, M. de Fézensac, M. de Ségur, M. de Mortemart, M. de Narbonne[1] ; parmi les dignitaires de son palais, aumôniers, chambellans, dames d’honneur, des Rohan, Croy, Chevreuse. Montmorency, Chabot, Montesquiou, Noailles, Brancas, Gontaut, Grammont, Beauvau, Saint-Aignan, Montalembert, Haussonville, Choiseul-Praslin, Mercy d’Argenteau, Aubusson de La Feuillade, d’autres encore, inscrits dans l’almanach impérial comme autrefois dans l’almanach royal.

Mais ils ne sont à lui que de nom et dans l’almanach. Sauf quelques-uns, M. de Las Cases, M. Philippe de Ségur, qui se sont donnes à cœur perdu, jusqu’à le suivre à Sainte-Hélène, à le glorifier, l’admirer, l’aimer par-delà le tombeau, les autres sont des conscrits résignés, dont l’âme demeure plus ou moins réfractaire. Il ne fait rien pour les gagner : sa cour n’est pas, comme l’ancienne cour, un salon de conversation, mais une salle d’inspection, le plus somptueux appartement de sa grande caserne; la parade civile y continue la parade militaire; on y est contraint, raidi, muet, inquiet[2]. Il ne sait pas être maître de maison, accueillir ses hôtes,

  1. Duc de Rovigo, Mémoires, V, 297. Vers la fin, quantité de jeunes nobles avaient pris du service dans l’armée. « En 1812, il n’y avait plus un maréchal de France, ou même un général, qui n’en eût parmi ses aides-de-camp et dans son état-major. La presque totalité des régimens de cavalerie de l’armée était commandée par des officiers appartenant à ces familles. Déjà ils se faisaient remarquer dans l’infanterie. Toute cette jeune noblesse s’était franchement ralliée à l’empereur, parce qu’elle se laissait facilement entraîner par la gloire. »
  2. Mme de Rémusat, II, 299 (1806) : « Il commença dès cette époque à s’entourer d’un tel cérémonial, que personne d’entre nous n’eut plus guère de relations intimes avec lui... Cour de plus en plus nombreuse et monotone, chacun faisant à la minute ce qu’il avait à faire. Personne ne songeait à s’écarter de la courte série de pensées que donne le cercle restreint des mêmes devoirs... Despotisme croissant,.. crainte d’un reproche si l’on manquait à la moindre chose, silence que nous gardions sur tout... On n’y trouvait plus l’occasion d’y éprouver une émotion ou d’y échanger la moindre réflexion. »