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Mais il était aisé de prévoir que ce sursis ne pourrait être sensiblement prolongé. Le procédé n’était donc qu’un expédient. Et Marie-Madeleine eût longtemps cherché, sans doute, un moyen dilatoire plus efficace et plus sérieux, si sa cousine ne fût arrivée chez elle, débarquant à l’improviste et lui apportant une demi-solution.

— Je suis veuve ! s’écria Mme de Buttencourt en embrassant la jeune fille.

Celle-ci, qui n’avait pas pris garde au ton d’enjouement, d’ailleurs un peu forcé, dont s’était servie sa cousine, pâlit beaucoup et fut tout près de chanceler.

— Rassure-toi, fit en souriant la baronne. Cela signifie simplement que Rodolphe, lequel, entre parenthèses, a dû te rendre visite lors de son récent passage à Nancy, m’a prévenue que le séjour qu’il se proposait de faire à Paris serait beaucoup plus long qu’il ne l’avait prévu d’abord. Ce n’est pas tragique, tu vois… Maintenant, comme nous avons pas mal à causer, que papa voyage et que je ne suis guère en humeur d’habiter une maison vide, je te demande l’hospitalité. Si tu le veux bien, je demeurerai ici au lieu de demeurer à côté. Ce sera l’affaire d’une semaine, tout au plus, car la grand’mère de Rodolphe n’est pas bien du tout…. Çà, voyons, conduis-moi près de ton père, que je sois en règle avec lui. Et puis, case-moi… à proximité de tes oreilles.

Les deux cousines, qui s’aimaient bien réellement comme deux sœurs, étaient enchantées, au fond, de se retrouver ensemble, — quelles que fussent leurs secrètes inquiétudes.

Après le brouhaha de l’installation et les premières causeries, toutes familiales, Hélène entra en matière :

— Voyons, dit-elle, à quand ce mariage, décidément ?

— On dirait que tu es plus pressée que moi, répondit Marie-Madeleine, tout de suite contrainte et angoissée.

— Non, je ne suis pas pressée… maintenant.

Elle emprisonna gentiment les mains de sa cousine dans l’une des siennes, tandis que, de l’autre, elle lui bouchait les yeux. Puis elle reprit :

— Ne me regarde pas : ça me gênerait pour ce que j’ai à te dire… Tu sais que j’ai été jalouse?

— On me l’a dit.

— Ce n’est pas pour me faire plaisir, au moins, que tu te maries ?

— Non. Mais…

— Tu aimes Frantz ? Il mérite d’être aimé, va ! Et pas un homme ne le vaut. Il a la tête de plus que les autres… la tête et le cœur. Tu l’aimes ?