Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
248
REVUE DES DEUX MONDES.

croyances et de dévoûment, par cela même ouverte à la sauvage poésie de la guerre. Jeter sa vie en toutes les aventures, à tous les sacrifices, eût été sa folie. C’était s’être attardé à deux cents ans en arrière ; il le sentait et se trouvait frappé d’anachronisme en cette fin de siècle boursicotière et mercantile, dont ce milieu sceptique, sans attache avec le passé, élevé pour les idées nouvelles et par elles, lui présentait la vivante image.

— Mon infériorité est choquante ! pensait-il.

Involontairement, il se comparait à un grand jeune homme brun, d’une beauté réelle quoique dépourvue de distinction, à la mine insolente, qui s’affirmait bruyamment comme clubman et homme de fête.

Ne l’avait-il pas déjà remarqué à table, où il était assis près de Mireille, pour son affectation outrecuidante à se pencher vers sa voisine lorsqu’il lui parlait ? Manières et propos trahissaient une infatuation excessive. Cependant, cette pose récoltait des admirateurs, on riait de ses mots, on adoptait ses appréciations, on enviait les bonnes fortunes qu’il contait gaillardement, et M. Valtence même, cet homme vraiment supérieur et peu susceptible d’engouement, lui marquait une attention flatteuse et comme une secrète prédilection.

— Décidément, il est bien en cour, songeait de Vair en rentrant dans le salon.

Déjà le violoniste initiait le public à quelques-unes de ses compositions et déployait une virtuosité rare. C’était une musique vive, sautillante, pailletée de petites notes alertes comme un cliquetis de castagnettes, gentil tournoi d’esprit qui ne disait rien au cœur absolument. Même lorsque la phrase s’égarait un instant à soupirer une romance amoureuse, bien vite elle retombait en une cascatelle d’éclats de rire, comme pour noyer dans une moquerie l’émotion qu’elle avait trahie. L’on écoutait recueilli, puis on applaudissait avec transports. Il était évident que l’assistance comprenait et qu’elle vibrait à l’unisson de l’artiste.

Cette fois, il fallait que de Vair s’y résignât : la musique et les devoirs de l’hospitalité lui avaient pris Mireille pour toute la soirée. Non sans humeur, il se mit à regarder autour de lui. Cette foule mondaine n’était pas peu curieuse à étudier.

Brillante de toilettes, de pierreries, et d’élégance, elle éblouissait. Toutes les femmes étaient jolies, phénomène rare et charmant, que Marseille partage avec Bucharest, cette graine latine poussée en plein Orient, où les nobles Roumaines ont hérité la beauté et la grâce disséminées dans la variété infinie des types de l’Europe. Une griserie montait de ces épaules nues, de ces nuques troublantes, des torsades fauves ou bleuâtres de ces cheveux pleins de reflets, sous