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privé ou public, elle fait appel à la section législative, et toutes deux délibèrent en commun.

C’est à ce type consacré que l’on revint en 1879. Il paraît que le gouvernement avait hésité entre les deux systèmes en présence. Mais le parlement, lui, n’eut point d’hésitations. Le sénat, puis la chambre, expédièrent la loi au pied levé ; ce fut l’affaire de quelques heures. La plupart des votans, qui n’avaient, il faut le dire, que des notions peu précises sur le conseil d’État, rétablirent la section de législation sans s’apercevoir qu’ils côtoyaient un des problèmes les plus délicats que soulève l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics. En réalité, deux choses les touchaient : on allait faire échec aux hommes de la droite et les remplacer par des républicains. Mais les dispositions de la loi en elle-même, mais le sort réservé à cette section, véritable enfant du hasard, que l’on mettait au monde sans savoir comment il vivrait, on n’en eut point souci. Quel contraste avec l’œuvre si réfléchie, si consciencieuse et si conséquente du législateur de 1848 ! La loi du 13 juillet 1879 se bornait à mentionner presque incidemment la section nouvelle : de sa composition, de son fonctionnement, de ses attributions, pas un mot. On avait l’air d’ouvrir très grande la porte du conseil d’État aux projets de loi ; mais on négligeait de s’assurer qu’ils en prendraient la route. On ne prescrivait rien ; on ne réglait rien ; on laissait, comme par le passé, selon les erremens de la restauration et de la monarchie de juillet, le gouvernement et les chambres absolument libres de ne recourir au conseil que lorsqu’il leur plairait. Or, il faut être bien ignorant de l’esprit qui anime les assemblées parlementaires et les administrations publiques pour s’imaginer que les unes et les autres, également jalouses de leur autorité et de leur liberté d’action, iront d’elles-mêmes, par un sacrifice gratuit et sans cesse renouvelé, se soumettre au contrôle, aux critiques, et aux corrections du conseil d’État ! Il est clair que, neuf fois sur dix, elles sauront trouver des raisons excellentes de s’en affranchir, si une disposition expresse de la loi organique ne les oblige catégoriquement au renvoi. À cet égard, je me rappelle un incident significatif qui se produisit, à la chambre, dans la séance du 7 juin 1879, c’est-à-dire presque au lendemain du jour où elle avait été saisie de la loi sur le conseil, que le sénat venait d’adopter. La chambre discutait une proposition relative aux élections des juges des tribunaux de commerce. Une difficulté s’étant présentée, le sous-secrétaire d’État au ministère de la justice (c’était alors M. Goblet) demanda le renvoi de la proposition au conseil d’État. Sur quoi un membre de la majorité, M. Gatineau, s’élance à la tribune et avec véhémence exhorte l’assemblée