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En bon anglais de Carlyle, cela s’appelle hero-worship, le culte des héros. Les formes et les rites de ce culte-là varient, comme ses objets, avec les temps, les climats et les races : le fond demeure.

Je me hâte d’ajouter que les libéraux avaient des raisons plus substantielles de désirer le retour de M. Gladstone aux affaires. En empruntant quelques-uns des plans de M. Chamberlain, leur allié de circonstance devenu leur fidèle ami, les conservateurs avaient donné quelques satisfactions à la démocratie ; mais ils étaient arrivés au terme de leurs concessions. Manifestement, ils ne pouvaient aller plus loin ; ils arrivaient à ce programme négatif qui est la raison d’être et le dogme permanent de tout parti réactionnaire ; ils allaient se présenter les mains vides devant les électeurs. Quant à M. Gladstone, n’avait-il pas été le plus éminent serviteur de la démocratie ? Il l’avait conduite à sa première bataille, à la conquête des droits politiques. Pourquoi refuserait-il de la diriger dans la seconde étape, celle de l’installation sociale ? Le programme de Newcastle était là pour répondre à cette question. Ce programme, qui a été analysé ici il y a un an[1], caressait les non-conformistes, menaçait la chambre des lords, et promettait beaucoup aux ouvriers des campagnes sans décourager ceux des villes. Aux divers groupes religieux ou sociaux qui devaient bénéficier du programme de Newcastle et au parti de la tempérance qui se recrute parmi les radicaux, joignez les forces complètes du parti irlandais dont on espérait l’unification après la mort de Parnell. Serrez-les autour des amis personnels et des dévots de Gladstone, autour de cette a vieille garde » qui est prête à suivre partout son « empereur, » et vous comprendrez quel puissant et large courant d’opinion s’était formé, depuis quelques années, de tous ces affluens et entraînait une quatrième fois le pays vers M. Gladstone.

Les symptômes ne manquaient pas pour indiquer la direction de l’esprit public. Les élections partielles avaient ramené la majorité conservatrice de 115 voix à 68. Londres qui, en 1886, s’était presque entièrement donné aux tories, s’était retourné au printemps dernier vers les progressistes, lors des élections du county council. La grande ville, si longtemps éparse et mutilée, s’éveillait à la vie politique, prenait conscience d’elle-même. Son exemple agirait sur les autres centres populeux. À Birmingham, Chamberlain, assurait-on, était fini : son nom était devenu un objet d’exécration. L’Ecosse était acquise ; le pays de Galles voterait comme un seul homme pour être délivré de cette église anglicane dont l’entretien pesait sur tous les contribuables sous prétexte de satisfaire

  1. Voir, dans la Revue du 15 novembre 1891, l’étude sur John Morley.