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aux besoins religieux d’une infime minorité. Quant aux comtés, on allait les « balayer, » tout bonnement. On mènerait les ruraux au scrutin en leur promettant la re vision des listes électorales et les conseils de paroisse, en les excitant contre le squire et le parson, leurs maîtres et par conséquent leurs ennemis. Un expert en matière d’opinion, qui parcourait le pays il y a deux mois, assurait qu’on galvanisait les campagnes, rien qu’en leur parlant de démolir la chambre des lords. Il promettait cent voix de majorité aux libéraux. « Cent voix ! allons donc ! c’est cent cinquante, c’est deux cents voix qu’il nous faut ! » Il s’agissait d’une sorte de plébiscite : Gladstone ou Salisbury. Est-ce que l’Angleterre pouvait hésiter ?


II.

Pendant tout le printemps, le parti de M. Gladstone se livra aux plus belles espérances. La marée libérale battait son plein lorsque, dans les premiers jours de juin, la dissolution fut annoncée comme très prochaine. Aussitôt l’agitation électorale commença. Tout le mécanisme du parti entra en branle, mais dès les premiers tours de roue, il y eut des craquemens de mauvais augure.

D’abord l’Irlande, si unie sous Parnell, en 1885 et en 1886, était déchirée par ses deux factions rivales, plus éloignées que jamais de s’entendre et, à la faveur de ces querelles de famille, le parti des landlords paraissait devoir escamoter quelques sièges. On prévoyait des excès, du sang peut-être : ces violences compromettraient la cause du home-rule. Les agens du gouvernement semaient partout ce vague sentiment de défiance si facile à réveiller chez l’Irlandais contre l’ennemi séculaire. « Gladstone, sûr de sa majorité radicale, abandonnait ses alliés au-delà du canal Saint-George, Gladstone trahissait, Gladstone jetait par-dessus bord le home-rule. »

D’autre part, les conservateurs et les unioniotes, Salisbury et Chamberlain en tête, disaient tout haut que l’Ulster, loyal et protestant, irait jusqu’à la guerre civile plutôt que de se soumettre au parlement séparatiste et catholique de Dublin. Tout ce nord de l’Irlande contient une proportion considérable de presbytériens écossais. Beaucoup descendent de ces colonies de vétérans que Cromwell, suivant l’expression énergique et pittoresque du temps, « planta » dans l’île reconquise. Les unionistes s’attendrissaient sur le sort de ces pauvres gens de l’Ulster : « Ce sont vos frères, disaient-ils aux non-conformistes anglais. Vous allez les livrer à l’intolérance catholique, au joug des milices papales dont M. Gladstone