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et même les créer. J’ai souvent produit beaucoup d’effet sur des auditoires tumultueux ou prévenus. Je ne suis pourtant ni homme d’État, ni orateur. »

C’est dans ces pages peu lues que nous saisissons La Fayette sur le vif. Il importait de ne pas les laisser dans l’ombre.

Il conformait du reste ses actes à ses doctrines. Ainsi, dès leur arrivée dans le Holstein, ses amis et lui avaient arboré la cocarde nationale, afin d’établir une distinction tranchante avec les émigrés. Il s’était rendu ensuite chez le ministre de France, M. Reinhart, pour lui porter son adhésion à la constitution de l’an III[1], et lorsque le lendemain il reçut la visite du représentant du gouvernement du Directoire, il lui exprima fermement « ses inaltérables sentimens sur le 10 août et son horreur du 18 fructidor. » M. Reinhart, dans sa dépêche à M. de Talleyrand, dut constater les divers sentimens de La Fayette, car le Directoire fut mécontent. Par son ordre,

le peu de biens que La Fayette possédait encore en Bretagne furent vendus aux enchères, et sa rentrée en France tut compromise. « Notre ami, écrivait Masclet le 31 novembre 1797, vient de jeter le gantelet contre le 18 fructidor, c’est-à-dire qu’il vient de prononcer son arrêt d’ostracisme contre lui-même, j’ai montré tout cela à Talleyrand. Il pense comme moi que de pareilles indiscrétions ne peuvent manquer de tout perdre. »

En attendant des jours meilleurs, Mme de La Fayette, à peine convalescente, fut dans l’obligation de retourner en France, où les affaires de la famille l’appelaient impérieusement. La détresse s’était assise à son foyer. La guerre d’Amérique, la révolution, la prison, l’exil, avaient dévoré une fortune considérable. Mme de La Fayette seule pouvait poursuivre le règlement des partages et des comptes ; car seule elle n’était portée sur aucune liste de proscription ou de suspicion. Elle partit donc pour Paris avec sa seconde fille ; elle n’y fît qu’un court séjour et s’empressa d’aller embrasser en Auvergne sa vieille tante, Mme de Chavaniac.

Pendant son absence, La Fayette et son fils George avaient quitté le Holstein. La famille s’installait plus près de la France, à Vianen, aux portes d’Utrecht. « En exil, dit mélancoliquement Mme de Lasteyrie, nul lien n’attache ; on espère toujours abandonner l’établissement qu’on se fait. »

Avant de reprendre le chemin de l’exil, Mme de La Fayette avait remis à l’un des directeurs, La Revellière-Lépeaux, une lettre dans laquelle le général demandait la rentrée de ses compagnons. « En offrant de loin, écrivait-il, mes vœux pour la liberté, la gloire et

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