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de Hohenzollern, dont le frère avait été enfoui dans le champ de morts, l’acheta, et le fit sans bruit clore de murs pour le mettre à l’abri des profanations.

Quand Mme de Montagu et Mme de La Fayette, guidées par Mlle Paris, allèrent pour la première fois à Picpus, et qu’elles virent ce cimetière inconnu, elles furent saisies de tristesse. Le projet qu’elles avaient conçu dans l’exil d’élever une tombe à leur mère, à leur aïeule, à leur sœur, se transforma. Une souscription fut ouverte parmi les parens des victimes. Avec le temps, l’œuvre se développa ; la chapelle fut agrandie ; les terrains contigus furent achetés ; une partie du vieux monastère fut restaurée. Des religieuses vouées à l’adoration perpétuelle y furent installées. Des plaques de métal furent scellées aux murs, et l’on y grava les noms des treize cent victimes de la barrière du Trône, dans l’ordre où on les avait trouvées inscrites sur les registres de la Conciergerie. Cette œuvre de Picpus fut une consolation pour Mme de La Fayette.

Sa santé était sérieusement atteinte, mais son courage simple était comme un charme qui trompait ceux qui l’approchaient, et elle recevait de la plus noble façon les visiteurs. Lagrange eut, après la paix d’Amiens, des hôtes illustres. Charles Fox et sa femme, Fitz-Patrick, les amis des mauvais jours, y passèrent deux semaines, apportant avec eux leur grand souffle libéral, et jugeant avec sagacité les événemens extraordinaires qui se déroulaient.

Mme de La Fayette se prêtait à tout. Elle supportait avec douceur les inquiétudes que lui causaient les batailles auxquelles son fils assistait. Napoléon gardait rancune à George de l’attitude de son père. Bien qu’il eût sauvé à Eylau la vie du général Grouchy dont il était l’aide-de-camp, et bien qu’il eût été présenté deux fois pour le grade de capitaine, deux fois il avait été rayé de la main même de l’empereur. George attendait la paix pour donner sa démission.

Les années de ce tranquille séjour à Lagrange s’écoulaient rapides comme la joie. La Fayette était tout entier à ses travaux agricoles. Même dans ses lettres à Jefferson, avec lequel il avait un commerce épistolaire suivi, il parlait avec réserve des événemens, tout en les jugeant avec une grande hauteur. Il ne se désintéressait jamais des affaires de l’Amérique, se réjouissant avec Jefferson du développement des institutions républicaines.

Le 20 février 1807, il écrivait à cet ami fidèle qui l’avait invité à venir le voir avec la famille : « George a dû renoncer à l’espoir d’obtenir de l’empereur aucun avancement, mais son zèle dans