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l’armée active déplaît assez pour qu’il ait à craindre d’être envoyé, avec son grade de lieutenant, dans quelque régiment éloigné. C’est pourquoi il est décidé à revenir près de nous aussitôt que les circonstances lui permettront de quitter la division à laquelle il est attaché, à moins qu’il ne survienne quelque explication à ce sujet.. Ma situation personnelle est toujours la même, ma femme éprouve dans ce moment une crise de souffrance ; vraiment, mon cher ami, je ne sais comment elle aurait pu traverser l’Atlantique, ni comment, dans la situation actuelle des affaires, nous pourrions espérer ! de vous rejoindre. »

George La Fayette, découragé, avait en effet quitté l’armée et était revenu à Lagrange. Sa mère était entrée dans un état de souffrance dont elle ne sortit plus. On profita d’une trêve dans ses douleurs pour la transporter à Aulnay, chez Mme de Tessé, à trois lieues de Paris. Puis, le malfaisant des progrès, la malade s’établit à Paris, toujours chez sa tante dévouée. Dans son délire Mme de La Fayette reconnaissait ses enfans. Elle appela un jour sa fille aînée, Mme de La Tour-Maubourg, pour lui dire : « Avez-vous l’idée de ce que c’est que le sentiment maternel ? En jouissez-vous comme moi ? Y a-t-il quelque chose de plus doux, de plus intime, de plus fort ? Sentez-vous comme moi le besoin d’aimer, d’être aimée[1] ? »

Dieu et son mari furent l’occupation de ses derniers momens. Au milieu de la fièvre, elle répétait le cantique de Tobie, qu’elle avait dit en apercevant la ville d’Olmütz, et s’éteignit la nuit de Noël 1807. Ses dernières paroles à ses enfans furent : « Je vous souhaite la paix du Seigneur, » et à M. de La Fayette : « Je suis toute à vous ! » Elle fut inhumée à Picpus, dans le funèbre asile que sa sœur Mme de Montagu et elle avaient fondé.

Quelques jours après cette mort, M. de La Fayette écrivait à M. de La Tour-Maubourg cette lettre admirable qui mérite d’être conservée, tant par sa sincérité, son élévation, elle honore deux amis. C’était la seule oraison funèbre que rêvât Mme de La Fayette. Dans ce livre, où elle tient presque autant de place que son mari, ce cri de douleur, ces larmes doivent être recueillis :

« Je ne vous ai pas encore écrit, mon cher ami, du fond de l’abîme de malheur où je suis plongé. J’en étais bien près, lorsque je vous ai transmis les derniers témoignages de son amitié pour vous, de sa confiance dans vos sentimens pour elle. Ma douleur aime à s’épancher dans le sein du plus constant et cher confident de toutes mes peines au milieu de toutes les vicissitudes où souvent

  1. Vie de Mme de La Fayette.