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l’empereur qui est b… plus beau que l’autre. » À Dôle, un royaliste orne sa demeure d’un grand transparent représentant une aigle abattue sous une fleur de lis, avec cette légende : Aquila rapax sub humili flore cadit. Bien que peu latinistes, les hussards comprennent l’allusion et brisent à coups de pierres le transparent et toutes les vitres de la maison. Le plus curieux, c’est que le préfet du Jura donne tort au royaliste « qui a offensé l’armée dans un symbole qui lui est cher. » À Paris, les soldats casernes à la Pépinière choisissent tout justement le jour de la Saint-Louis pour effacer la nouvelle inscription placée à l’entrée de leur caserne : « Les lis manquaient à nos lauriers. »

Louis XVIII, ce gros homme rivé à son fauteuil, ce chef nominal des armées qui ne peut monter à cheval, est la risée des troupes. On le chansonne outrageusement, on insulte ses emblèmes ; son nom devient synonyme des termes les plus grossiers. À l’exercice à feu, les canonniers du 6e d’artillerie comptent les coups ainsi : « Seize ! .. dix-sept ! .. dix-huit ! comme un cochon. » En jouant aux cartes, les soldats disent : cochon de trèfle, cochon de pique. À l’écarté, ils marquent le cochon ; au piquet, ils annoncent : quinte au cochon.

Les prisonniers de guerre qui étaient versés dans les corps à leur rapatriement et qui formèrent bientôt la majorité des présens sous les armes, — d’Angleterre seulement, il revint 69,554 hommes, — se montraient les plus animés contre les Bourbons. « Loin d’être reconnaissans envers le souverain qui les rend à la liberté, écrivait le comte de Ferrière, commissaire extraordinaire dans les départemens de l’Ouest, les prisonniers se déclarent ouvertement pour celui qui les a jetés dans les fers. » Le général comte de Langeron, émigré au service de la Russie, écrivait de son côté : « Nous vous renvoyons des prisonniers abominables, c’est une vraie peste. » Dans toutes les villes, les préfets, les maires, les commandans de place redoutaient leur passage. Ils arrivaient en guenilles, pieds nus, à demi morts de fatigue et de misère, mais soutenus par le désir de la vengeance et n’ayant rien perdu de leur culte pour Napoléon. Quelques-uns s’imaginaient même que tout ce qu’on leur avait conté de l’abdication était mensonger ; ils croyaient retrouver leur empereur sur le trône. Aux premières cocardes blanches qu’ils apercevaient ils devenaient furieux. À Morlaix, le 26 mai, ils assaillirent des volontaires royaux et en tuèrent trente. Le 1er juin, deux mille cinq cents d’entre eux, passant à Montauban, arrachèrent les cocardes des royalistes. À Strasbourg, le 10 juillet, ils se mutinèrent au nombre de seize cents. À Blaye, le 16 août, ils forcèrent les habitans à crier avec eux : Vive