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théories proprement dites, au contraire, n’ont reparu en Occident que vers la fin du XIIe siècle, après avoir passé par les Syriens et par les Arabes. Mais la connaissance des procédés eux-mêmes n’avait jamais été perdue. Ce fait capital résulte surtout de l’étude des alliages destinés à imiter et à falsifier l’or, recettes d’ordre alchimique, je le répète, car on y trouve aussi la prétention de le fabriquer. Les titres sont à cet égard caractéristiques : « pour augmenter l’or ; pour faire de l’or ; pour fabriquer l’or ; pour colorer (le cuivre) en or ; faire de l’or à l’épreuve ; rendre l’or plus pesant ; doublement de l’or. » Ces recettes sont remplies de mots grecs qui en trahissent l’origine.

Dans la plupart, il s’agit simplement de fabriquer de l’or à bas titre, par exemple, en préparant un alliage d’or et d’argent, teinté au moyen du cuivre. Mais l’orfèvre cherchait à le faire passer pour de l’or pur. Cette fraude est d’ailleurs fréquente, même de notre temps, dans les pays où la surveillance est imparfaite. Notre or dit au 4e titre prête surtout à des fraudes dangereuses, non-seulement à cause de la dose considérable de cuivre qu’il renferme, mais parce que chaque gramme de ce cuivre occupe un volume plus que double de celui de l’or qu’il remplace. Les bijoux d’or à ce titre fournissent donc double profit au fraudeur, parce que l’objet est plus pauvre en or et parce que pour un même poids il occupe un volume bien plus considérable : ce sont là les profits de l’orfèvre, en Orient et même dans le midi de l’Europe, sinon ailleurs.

Ces fabrications d’alliages compliqués, qu’on faisait passer pour de l’or pur, étaient rendues plus faciles par l’intermédiaire du mercure et des sulfures d’arsenic, lesquels se trouvent continuellement indiqués dans les recettes des alchimistes grecs, aussi bien que dans la « Clé de la peinture. » Leur emploi remonte même aux premiers temps de l’empire romain. En effet Pline rapporte en quelques lignes un essai exécuté par l’ordre de Caligula, en vue de fabriquer l’or avec le sulfure d’arsenic (orpiment).

Il a existé ainsi toute une chimie spéciale, abandonnée aujourd’hui, mais qui jouait un grand rôle dans les pratiques et dans les prétentions des alchimistes. De notre temps même, un inventeur a pris un brevet pour un alliage de cuivre et d’antimoine, renfermant six centièmes du dernier métal, et qui offre la plupart des propriétés apparentes de l’or et se travaille à peu près de la même manière. L’or alchimique appartenait à une famille d’alliages analogues. Ceux qui le fabriquaient s’imaginaient d’ailleurs que certains agens jouaient le rôle de fermons, pour multiplier l’or et l’argent. Avant de tromper les autres, ils se faisaient illusion à eux-mêmes. Or, ces idées, cette illusion, se rencontrent également chez les Grecs et dans la « Clé de la peinture. »