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Parfois l’artisan se bornait à l’emploi d’une cémentation, ou action superficielle, qui teignait en or la surface de l’argent, ou en argent la surface du cuivre, sans modifier ces métaux dans leur épaisseur. C’est ce que les orfèvres appellent encore de notre temps « donner la couleur. » Ils se bornaient même à appliquer à la surface du métal un vernis couleur d’or, préparé avec la bile des animaux, ou bien avec certaines résines ; comme on le fait aussi de nos jours. Un procès récent, relatif aux médailles commémoratives de la tour Eiffel, faisait mention de cet artifice.

De ces colorations, le praticien, guidé par une analogie mystique, a passé à l’idée de la transmutation ; chez le pseudo-Démocrite, aussi bien que dans la « Clé de la peinture. » L’auteur de cette dernière conclut, par exemple, par ces mots : « Vous obtiendrez ainsi de l’or excellent et à l’épreuve. » C’était une formule destinée à rassurer le client, sinon l’opérateur. L’auteur ajoute encore : « Cachez ce secret sacré, qui ne doit être livré à personne, ni donné à aucun prophète. » Le mot prophète trahit l’origine égyptienne de la recette : il s’agit des scribes sacerdotaux et prêtres égyptiens, qui portaient en effet le nom de prophètes, comme on peut le voir dans un passage de Clément d’Alexandrie sur les livres hermétiques, portés en grande pompe dans les processions.

La preuve de ces origines gréco-égyptiennes des recettes d’orfèvres consignées dans la « Clé de la peinture » peut être poussée plus loin. En effet, il existe dans le Recueil latin une dizaine de recettes, parfois développées, qui sont données exactement dans les mêmes termes par le papyrus grec de Leyde ; de telle sorte que le premier texte est traduit du second jusque dans le détail de certaines expressions techniques, lesquelles se sont perpétuées même encore aujourd’hui dans les manuels Roret d’orfèvrerie.

Évidemment ceci ne veut pas dire que le texte transcrit dans la « Clé de la peinture » ait été traduit originairement sur le papyrus même que nous possédons, attendu que ce papyrus a été trouvé seulement au XIXe siècle, à Thèbes, en Égypte. Mais la coïncidence des textes prouve qu’il existait des cahiers de recettes secrètes d’orfèvrerie, transmis de main en main par les gens du métier, depuis l’Égypte jusqu’à l’Occident latin, lesquels ont subsisté pendant le moyen âge, et dont la « Clé de la peinture » nous a transmis un exemplaire.

Notons spécialement les procédés de diplosis, c’est-à-dire destinés à doubler le poids de l’or, par voie d’alliage, procédés relatés déjà dans un vers de Manilius, poète latin contemporain de Tibère :


Materiamque manu certa duplicarier arte,