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vers que les critiques du XVIe siècle avaient supposé à tort interpolé, parce qu’ils ignoraient l’existence des textes grecs découverts depuis en Égypte et qu’ils n’avaient pas compris le sens alchimique de l’essai de Caligula.

C’était une opinion fort accréditée au temps de Dioclétien que les Égyptiens possédaient des secrets pour s’enrichir en fabriquant l’or et l’argent ; à tel point qu’à la suite d’une révolte, l’empereur romain fit brûler leurs livres. — On voit que, malgré cette précaution, les formules n’ont pas disparu, puisque nous les retrouvons, à la fois, dans le papyrus de Leyde, dans les vieux traités grecs du pseudo-Démocrite, du pseudo-Moïse, d’Olympiodore et de Zozime, et dans les textes latins de la « Clé de la peinture. »

Citons encore le titre de l’une des recettes de la vieille table : Fabriquer du verre incassable. Ce titre mérite de nous arrêter, à cause des légendes et traditions qui s’y rattachent et qui se sont perpétuées pendant tout le moyen âge et jusqu’à notre époque. Le verre incassable (fialam vitream quæ non frangebatur, Pétrone) parait avoir réellement été découvert sous Tibère, et il a donné lieu à une légende, qui en amplifiait les propriétés et en faisait du verre malléable : légende rapportée par Pétrone, Pline, Dion Cassius, Isidore de Séville, et transmise aux auteurs du moyen âge. Suivant le dire de Pline, Tibère fit détruire la fabrique, de peur que cette invention ne diminuât la valeur de l’or et de l’argent. « Si elle était connue, l’or deviendrait aussi vil que de la boue, » écrit Pétrone. D’après Dion Cassius, Tibère fit tuer l’auteur. Pétrone, reproduit par Isidore de Séville, par Jean de Salisbury, par Éraclius, prétend aussi qu’il le fit décapiter, et il ajoute cette phrase caractéristique, qui s’applique également au verre incassable : « Si les vases de verre n’étaient pas fragiles, ils seraient préférables aux vases d’or et d’argent. »

Ces récits se rapportent évidemment à un même fait historique, rapporté par les contemporains, mais plus ou moins défiguré par la légende : l’invention aurait été supprimée par la crainte de ses conséquences économiques. Il n’est que plus curieux de la retrouver signalée dans les recettes d’orfèvres du moyen âge, comme si la tradition secrète s’en fût conservée dans les ateliers. Il existe dans la « Clé de la peinture, » au n° 69, une formule obscure, ou plutôt chimérique, où entre le sang-dragon, et qui paraît se rapporter au même sujet : « Sache que le verre fragile, après avoir subi cette préparation, acquiert la nature d’un métal plus résistant. » J’ai rencontré quelques indices des mêmes souvenirs dans des auteurs plus modernes, tels que le faux Raymond Lulle, et d’autres alchimistes du moyen âge, qui s’en sont fort préoccupés. « Par ce procédé, dit l’un d’eux, le verre peut être rendu