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peintres dont l’un est coloriste comme Delacroix et dont l’autre est dessinateur comme Ingres ; avec les mêmes matières colorantes l’un produira une œuvre brillante, et l’autre une œuvre terne. Ce qui permet de donner de la couleur à la toile, comme à l’expression de nos idées, c’est surtout la puissance de la vision mentale.

Nous trouvons, dans les premiers résultats de l’enquête de M. Claparède, quelques faits qui confirment notre hypothèse. M. Claparède a eu l’idée ingénieuse de faire son enquête simultanément sur l’audition colorée et sur les schèmes visuels. Cette dernière expression a besoin d’être expliquée ; elle a été suggérée par les beaux travaux de M. Galton, dont le nom reste attaché à tout ce qui concerne la vision mentale. M. Galton a fait le premier la remarque que certaines personnes se représentent la série des nombres sous une forme figurée, dont on peut tracer le dessin. Cette forme varie beaucoup avec les individus ; tantôt les nombres sont rangés dans leur ordre naturel, de 1 à 10, par exemple, en regard des barreaux d’une échelle ; tantôt ils sont distribués sur une ligne courbe ou brisée, ou bien ils sont enfermés dans des cases. Une des personnes sur lesquelles nous avons étudié l’audition colorée associe aux dix premiers chiffres des symboles visuels assez singuliers ; chaque chiffre lui rappelle la silhouette d’un personnage différent, un duelliste, une vieille femme, un banquier, etc. M. Claparède a pensé qu’on peut aussi se représenter sous des formes figurées d’autres notions abstraites, telles que les mois de l’année et les jours de la semaine. C’est à cet ensemble de représentations qu’il donne le nom de schèmes visuels ; ces phénomènes, dont l’interprétation n’est pas encore trouvée, mériteraient une étude spéciale ; ils nous semblent attester une tendance à penser, même des notions abstraites, sous une forme visuelle, et par conséquent, ils constituent une marque de ce type de mémoire ; c’est à ce point de vue que nous en parlons ici. Les résultats de l’enquête ont montré une coïncidence fréquente entre les schèmes visuels et l’audition colorée. Voici les chiffres que M. Claparède nous envoie, et qui nous paraissent assez significatifs : sur les 270 personnes qui ont répondu d’une manière positive à son questionnaire, 120 ont à la fois de l’audition colorée et des schèmes visuels ; les autres n’ont que l’un ou l’autre de ces deux phénomènes. Il nous paraît extrêmement probable que ces 120 personnes doivent appartenir au type visuel, et nous espérons que M. Claparède pourra les soumettre à un examen individuel, qui tranchera définitivement la question.

Sans employer de schèmes visuels, bien des personnes se repré-