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générale prononcée par les papes, par les conciles œcuméniques ; mais les conciles provinciaux font l’office de ceux-ci, excluent le comédien de la communion, le privent du sacrement de la pénitence s’il ne renonce à sa profession, défendent aux laïques, aux clercs, aux évêques, à leurs enfans, de donner des spectacles profanes et d’y assister. Enfin, l’Église arrache à Justinien une loi qui autorise l’histrion converti, libre ou esclave, à ne plus remonter sur la scène ; d’ailleurs, le zèle religieux de l’empereur ne l’empêchait point d’épouser Théodora. Un autre auxiliaire lui était venu, l’invasion barbare qui mit fin à l’orgie scénique dans l’empire d’Occident.

« Je suis comédien du roi, et vous êtes comédien du pape, » répliquait Dancourt au père de la Rue, et l’on sait cette jolie femme qui plaçait dans sa chambre le portrait de Baron en face de celui de Massillon, les deux meilleurs comédiens de son temps, disait-elle de très bonne foi, sans aucune intention d’ironie. Toute assimilation à part, il faut bien convenir que l’Église ressuscita le théâtre dans le monde moderne ; à l’exemple des religions antiques, elle avait compris que l’éducation morale et religieuse des peuples, comme des enfans, se fait par les yeux, par les sens, qu’il y avait là un merveilleux ressort de séduction et d’influence à une époque où l’imprimerie n’existait pas encore, où les foules soupiraient après quelques gouttes de joie pour embellir leurs existences monotones. Au lieu des dionysiaques ou des panathénées, on dramatisa les récits des Écritures, Noël, l’Epiphanie, la Passion ; on ajouta même, à certains jours de l’année, des bouffonneries indécentes, souvenirs évidens des lupercales. Le clergé recrute des acteurs parmi ses fidèles, organise des confréries qui lui prêtent assistance et le suppléent ; enfin, il fait jouer les mystères en dehors des églises. Peu à peu, à mesure que les Confrères de la Passion, les Clercs de la basoche, les Enfans sans souci essaient de s’affranchir, mêlent le profane au sacré, reparaît l’antique rancune et commencent à revivre les anciennes défenses contre les représentations sacrilèges, comme la Fête des fous, contre les rapports trop intimes de beaucoup de prêtres avec les farceurs. Cependant Léon X aime et protège le théâtre : un cardinal italien compose pour lui la Calandra ; lui-même mande de Florence à Rome des acteurs qui, devant la cour pontificale, jouent la Mandragore de Machiavel. Survient la réforme : l’Église de France veut ne pas rester en arrière du protestantisme qui proscrit cette distraction, et voilà les acteurs véritables frappés au même titre que les bateleurs et jongleurs. Poussé par elle, le parlement sévit avec âpreté : tantôt il les condamne aux verges, au pain et à l’eau ; tantôt il impose les confrères de la Passion de 1,000 livres tournois (première