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république et les ministres au besoin, et même les chefs de parti dans leurs voyages, parlent en hommes qui sentent que les vieilles divisions sont la ruine de la France, que la conciliation est le mot d’ordre nécessaire de la politique du jour, d’une situation nouvelle où les institutions cessent d’être contestées ; ils comprennent aussi que, s’il est juste et prévoyant de s’occuper de « ceux qui travaillent ou qui souffrent, » la première condition est de ne pas laisser ces périlleux problèmes dans l’anarchie, de maintenir la paix publique sans laquelle rien n’est possible, la liberté du travail qui est la clé de tout. Ils le pensent, ils le répètent dans leurs discours, et dans la pratique on croirait qu’ils oublient ce qu’ils ont dit ; cette liberté du travail, cette paix publique, ils les livrent à la violence organisée sous le nom de grèves et de syndicats, à des factions dont le mot d’ordre unique et avéré est la guerre sociale. Encore une fois, comment cela se fait-il ? Comment s’expliquent ces contradictions ? Oh ! c’est bien simple. Quand on visite la France, la France, la vraie France vivante et réelle, quand on prononce des discours dans certaines occasions, aux manœuvres, au milieu des populations, on se sent sous l’inspiration du pays ; on parle devant le pays, pour le pays. Quand on rentre à Paris, dans le brouhaha de tous les jours, ce n’est plus cela, on est ressaisi par les influences de parti. On parlemente avec les sénateurs et les députés qui se mêlent de tout, on laisse fléchir la loi et la justice devant de simples factieux pour n’avoir point d’affaire avec leurs patrons, on craint les interpellations, les interpellateurs. Et le seul résultat est qu’il n’y a plus de gouvernement ou qu’il n’y a qu’un gouvernement qui se désarme lui-même, hésitant devant toutes les résolutions, impuissant à réaliser ses propres vues et, en définitive, laissant, par ses faiblesses, les difficultés s’envenimer, les incidens grossir.

Au fond, c’est toute l’histoire de ces agitations, de ces grèves qui se prolongent indéfiniment au nord comme au midi et qui, loin de s’apaiser, deviennent de plus en plus aiguës. Qu’est-ce que cette grève qui depuis plus d’un mois trouble et paralyse la petite ville de Carmaux dans le Tarn ? On parle de conflit. Quel conflit ? Il n’y a d’autre conflit que celui qu’on a voulu créer ou qu’on a laissé se compliquer. Entre la compagnie et les mineurs de Carmaux, il n’y a pas eu même une mésintelligence sérieuse dans la pratique de relations réglées par un arbitrage qui date de quelques mois à peine. Il n’y a que la mésaventure personnelle d’un ouvrier qui a été congédié pour sa négligence au travail, qui, sous prétexte qu’il est maire, chef de syndicat, s’est cru inviolable et qui pour sa cause n’a pas craint d’exposer une population tout entière aux rigueurs du chômage. C’est pour un seul homme que quelques milliers d’ouvriers livrés à des meneurs se sont trouvés mis en grève. Une fois lancés, ils ont cru pouvoir dicter la loi, imposer