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travers les siècles, la prière tombée de la montagne de Galilée : Adveniat regnum tuum ! Et que de choses dans ce souhait enseigné par le Messie vivant, — surtout quand on y ajoute, après le Fiat voluntas tua, le Sicut in cœlo et in terra ! Sur la terre comme au ciel ! Je me rappelle en avoir entendu le commentaire à Rome par un prélat américain ; il y faisait rentrer les plus audiences espérances et les plus nobles ambitions des enfans des hommes. Sicut in cœlo ! Les plus éblouissantes promesses des voyans d’Israël revivent dans ce verset du Pater quotidien. Et si les chrétiens ont semblé parfois l’oublier ; si l’Église, avant tout soucieuse du séjour éternel et du triomphe final de la justice, a paru jamais se désintéresser de son règne sur la terre, ce n’est certes pas aux jours que nous vivons. L’Église aussi, nous le constations récemment, croit de sa mission de ne pas négliger cette vie terrestre, d’en panser les plaies, d’en adoucir les maux, d’en purifier et d’en assainir les passagères demeures. De fait, jamais elle n’y avait renoncé ; mais le vent qui souffle du dehors l’y ramène plus que jamais. Elle ne veut rien abandonner de sa tâche providentielle, elle engage ses fils à se préoccuper de l’avenir social, et à n’en pas laisser le soin aux enfans des ténèbres. L’étendard de la Croix se déploie, de nouveau, comme une bannière de Progrès, et le mot de Justice est donné aux phalanges du Christ, le Messie des nations, comme la devise des conquêtes prochaines. Et ainsi le vieux rêve d’Israël, la grande vision sémitique incorporée à l’idée chrétienne, reparaît dans l’Église, non moins que dans la Synagogue, et pour en préparer la réalisation, la chaire de l’apôtre de Galilée offre son concours au siècle. Quand sera-t-elle construite, la Jérusalem nouvelle, la cité universelle de la Justice et de l’Amour ? Et sera-t-il jamais donné à la main de nos fils d’en ouvrir les portes ?

Il est vrai que le Christ a dit : Mon royaume n’est pas de ce monde. Par là, le christianisme se distingue du judaïsme, et les espérances spirituelles de la nouvelle alliance des ambitions temporelles de Juda. — Mon royaume n’est pas de ce monde ; l’Évangile, a raison ; l’Évangile nous met en garde contre l’utopie ; il nous avertit de ne pas trop présumer de cette vie terrestre. Le royaume de Dieu ne saurait pleinement se réaliser sur la terre — à moins que le Fils du Très-Haut ne redescende du ciel pour l’instaurer parmi les hommes. Le royaume de Dieu est un idéal vers lequel doivent tendre les siècles sans y atteindre jamais. L’Église n’en convie pas moins les chrétiens à s’efforcer, eux aussi, d’amener parmi les hommes le règne de la paix et de la justice. À cela revient l’enseignement social de Léon XIII. L’Église n’approuve point ceux qui, las des longueurs de la route, secouent sur nos sociétés en travail la poussière de leurs souliers, ou demeurent assis à la porte des