Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

492 REVUE DES DEUX MONDE».

devient une seconde nature. J’avais été deux ans son précepteur, mon âme rentra sur-le-champ dans ses vieux plis, et je repris saDs effort ce ton familier, à la fois autoritaire et un peu grondeur que j’avais jadis avec elle.

— Eh bien, lui dis-je, si j’en crois votre lettre, il y a dans cette maison quelque chose qui cloche, et j’arrive en rebouteur.

— Vous êtes le plus savant des chirurgiens, me répondit-elle, mais vous remettez mieux les fractures que les entorses, et jusqu’ici mes maux ne sont pas dignes d’être soignés par vous.

J’espérais qu’elle allait me faire ses confidences, elle me les fit attendre. Elle me raconta tout au long son voyage de noces, Florence, Venise et Parme, le Titien et Gorrège, après quoi je dus à mon tour lui décrire par le menu mon appartement de la rue de Médicis, la renseigner sur mes occupations, sur mes plaisirs, sur les gens que je voyais. Elle me demanda où en était mon gros livre et quelles chances j’avais d’obtenir bientôt une place à mon goût. Elle poussa l’obligeance jusqu’à m’offrir de corriger pour moi mes épreuves pendant mon séjour en Champagne.

— Vous en seriez incapable, lui dis-je ; elles sont pleines de citations arabes, et vous n’avez jamais voulu apprendre cette belle langue.

— On ne peut tout apprendre, répliqua-t-elle ; pour le moment, j’apprends la patience... Mais si vous le voulez, nous descendrons au jardin ; on y est mieux pour causer.

Ce jardin me parut majestueux, mais peu gai. Les allées étaient ratissées avec un soin superstitieux ; le gazon des pelouses était tondu de près et scrupuleusement gardé contre tout mélange impur ; impossible d’y découvrir une petite fleur blanche ou jaune, et j’aime assez les gazons qui ne sont pas trop propres. Je ne sais s’il y avait du parti-pris dans mon impression, les arbres, les massifs, les bosquets me semblaient aussi raides qu’une vieille Anglaise. Les plates-bandes étaient bien entretenues et richement garnies ; mais j’y cherchai des rosiers sans en trouver.

— Et quand la saison des roses sera venue, me dit Monique, j’en serai réduite à en acheter. Que voulez-vous ? quoiqu’elle ne manque pas d’esprit, elle n’aime que les fleurs bêtes, les tulipes, les géraniums, surtout les dahlias.

Dans sa bouche, le pronom elle tout court et sans plus d’explication voulait dire : ma belle-mère.

— Elle est elle-même un beau dahlia, poursuivit cette bru irrévérence, mais un dahlia miraculeux, comme il n’y en a point, un dahlia à épines et qui, insensible aux gelées, fleurit pendant tout l’hiver.

— Et au demeurant, vous entendez-vous ?