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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 493

— A merveille ; nous nous adorons. Un jour sur deux et toujours à la même heure, elle vient me faire une petite visite, et je la lui rends le lendemain. Nous nous disons, dans ces courtes entrevues, toute sorte de choses agréables. Elle emploie la matinée à préparer des épigrammes, de petits traits piquans, et elle me décoche ses dards l’un après l’autre ; je les ramasse, je les lui renvoie, et elle les reçoit de la meilleure grâce du monde, car elle aime à fâcher les autres et elle-même ne se fâche jamais.

Je lui demandai d’un ton préceptorat si, dès le début, elle s’était toujours montrée pacifique et conciliante, si elle ne prenait pas quelquefois l’offensive, et j’alléguai le témoignage de Sidonie qui affirmait que, dans le fond, M me Isabelle était plus maniable qu’on ne le pensait.

— Ma sœur est un grand génie, me répliqua-t-elle ; mais les femmes qui savent ce qui se passe au ciel ne voient pas dans la conduite de la vie plus loin que le bout de leur nez. On lui fait beaucoup d’avances, de caresses, et elle prend ces flagorneries pour de bon argent. Elle ne se doute pas qu’on la choie, qu’on la flatte, à la seule fin de me mortifier. Croyez-moi, je ne suis pas jalouse ; je me contente de noter les intentions... Quand elle embrasse Sidonie, cela veut dire : — « Il y a dans ce monde deux sœurs qui se ressemblent bien peu. L’une est blonde, et je la trouve délicieusement jolie ; l’autre est brune, et si elle n’est pas laide à faire peur, il ne s’en faut guère. La blonde m’enchante par sa sagesse, la brune me désole par ses déraisons, et par un cruel arrêt de la Providence, celle qui me plaît n’est pas celle que mon fils a épousée... » Mais, tenez, la voici ; c’est le jour de sa visite ; il faut que vous l’avaliez, mon bon chien.

En effet, M me Isabelle traversait en ce moment la terrasse, ombrageant d’un parasol rouge sa tête nue, le menton relevé, droite comme un if, portant beau. Elle ne nous avait pas aperçus ; nous la rejoignîmes comme elle se disposait à entrer au salon.

— Ah ! vous n’êtes pas seule, ma chère ? Est-ce que je vous dérange ?

— Vous ne me dérangez jamais, madame, et, d’ailleurs, M. Tristan n’est pas un inconnu pour vous.

Elle me jeta un regard qui n’avait rien d’obligeant.

— Eh ! oui, je me remets très bien M. Tristan. Nous avons eu ensemble, il y a quelques mois de cela, une petite causerie dont j’ai gardé le plus charmant souvenir.

Elle entra, et avant de s’asseoir :

— Oh ! comme il sent l’huile ici !

— J’étais occupée à peindre cette armoire, et, jusqu’à ce jour, on n’a pas encore trouvé le secret de peindre à l’huile sans huile.