Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/500

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

494 REVUE DES DEUX MONDES.

À ces mots, Monique ouvrit toutes grandes toutes les fenêtres du salon et présenta à sa belle-mère un flacon de sels.

— Aimez-vous les armoires peintes, monsieur Tristan ? me demanda M me Isabelle.

— Oui, madame, quand elles sont bien peintes.

— Je ne croyais pas que les armoires fussent destinées à cela. À peine se fut-elle assise, elle tira de sa poche une lettre décachetée, qu’elle tendit à sa bru en lui disant :

— Il m’est arrivé tout à l’heure une désagréable aventure. Le facteur m’a remis cette lettre par inadvertance, et j’ai eu la sottise de l’ouvrir. J’ai cru qu’elle m’était adressée, je m’appelle comme vous M me Monfrin.

— Avec cette différence que je m’appelle aussi Monique, et qu’il y a sur l’adresse de cette lettre, avant mon nouveau nom, un petit M majuscule assez distinctement écrit.

— Pardonnez-moi mon étourderie, ma chère ; je suis quelquefois très étourdie. Je n’ai pas vu ce petit M, j’ai rompu machinalement le cachet, et machinalement aussi j’ai lu les premières lignes, et je regrette de tout mon cœur de les avoir lues, car elles m’ont paru fort inconvenantes, je vous le dis avec une franchise tout anglaise... Monsieur Tristan, je vous prends pour juge. Est-il convenable qu’un monsieur qui écrit à ma bru commence sa lettre par ces mots : « Mon cher petit mouton. »

— Mais je ne vois là rien d’offensant, lui dit Monique. C’est une façon de me rappeler que je suis une douce petite créature, et je suis bien aise qu’on rende justice à mes bonnes qualités... Continuez, madame ; dites-nous ce qui vient après.

— Ce monsieur, paraît-il, avait passé l’hiver dans le Midi ; à son retour, il a trouvé chez son concierge un billet de faire part lui annonçant que M. Louis Monfrin avait épousé M lle Monique Brogues. Cette nouvelle lui a causé une vive émotion, et il s’écrie :

— « Il est donc marié, mon petit mouton ! » — Je vous assure, monsieur Tristan, que je ne le lui fais pas dire... — « Il est donc marié, mon petit mouton ! Qui diable a bien pu l’épouser ? » — Et il ajoute :

— « Si ce courageux Champenois aime la peinture, je lui ferai grâce -, mais s’il empêche mon mouton de peindre, ce vilain homme aura affaire à moi. » — Là, je vous le demande, monsieur Tristan, est-il permis de parler sur ce ton à une femme qui est devenue ma bru ?

— Achevez donc, madame ; récitez-nous la lettre, cela me dispensera de la lire.

— Je m’étais aperçue de ma méprise, et je ne suis pas allée plus loin.

— À vrai dire, il me semble que, dès les premiers mots, vous auriez pu vous douter...