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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 739

tente du diable aurait haussé les épaules. Non-seulement son directeur laïque en était réduit à la raisonner, il ne pouvait se flatter que ses raisonnemens l’aidassent à se mieux connaître, car elle se connaissait à merveille, elle voyait clair dans son âme, qui travaillait au grand jour. Sa mère, cette pécheresse dévote, à qui plaisait le mystère des crépuscules, avait passé sa vie à se chercher et à s’ignorer. Victime d’une casuistique instinctive et des sophismes du cœur, s’appliquant à concilier ses désirs avec sa foi et les commandemens de l’Église, elle avait souvent pris ses passions pour des devoirs et ses devoirs pour des règles incertaines qu’on peut violer impunément, sans se brouiller avec saint Rémi. Ses erreurs étaient des inconséquences, tandis que j’étais certain que si jamais Monique commettait une laute, elle faillirait sciemment, qu’elle courrait au précipice les yeux ouverts, dans un accès de folie raisonnée, qu’elle se perdrait par principes et de propos délibéré, fière et tranquille comme une femme qui poursuit son droit.

Si différente qu’elle fût de sa sœur, elle était, comme Sidonie, tout à fait consciente d’elle-même. Elle aimait que les lampes donnassent toute leur lumière, elle ne craignait pas les clartés crues. Elle se rendait compte de toutes ses pensées, de tous ses sentimens, de tous les motifs bons ou mauvais qui déterminaient ses actions ; mais, partagée entre son bon sens naturel et une imagination prompte, vive, légère, tour à tour ombrageuse ou chimérique, des puissances rivales se disputaient son cœur. Pour la mettre d’accord avec elle-même, il aurait fallu qu’elle pût trouver dans la vie de devoirs cette félicité parfaite que ses rêves lui avaient promise ; mais le mariage ne lui avait procuré qu’un bonheur incomplet, avarié, qu’elle devait acheter par des sacrifices et qu’elle avait résolu de ne pas payer trop cher. Ce qui me paraissait le plus fâcheux, c’est qu’elle se faisait un spectacle de ses conflits intérieurs. S’il y avait en elle deux Monique décidant leur querelle en champ clos, il y en avait une troisième qui les regardait faire, qui assistait à leur tournois comme on assiste à un combat de coqs, jugeant des coups, pariant tantôt pour l’une, tantôt pour l’autre, et s’ amusant de cette guerre comme d’un jeu.

Le soir même, je courus chez elle, et je fus récompensé de mon empressement par le charmant accueil qu’elle me fit. Elle avait passé sa journée dans la galerie des Beaux-Arts ; elle causa peinture, sans qu’il fût question du diable. Je la revis une fois, deux fois, et j’étais de plus en plus rassuré. Tout à coup, le vent sauta : elle me parut préoccupée, distraite, soucieuse. Je lui parlai d’une exposition particulière d’aquarelles, qui me semblait de nature à l’intéresser ; elle laissa tomber le propos. Je me demandai si M. de Triguères n’avait pas renouvelé sa visite. Mais je savais que les