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en ces termes dans son rapport sur le prix Bordin : « À l’unanimité, la commission décerne le prix au Mémoire inscrit sous le no 2 et portant la devise : Dis ce que tu sais, fais ce que dois, advienne que pourra. Ce remarquable travail contient la découverte d’un cas nouveau dans lequel on peut intégrer les équations différentielles du mouvement d’un corps pesant, fixé par un de ses points. L’auteur ne s’est pas contenté d’ajouter ainsi un résultat du plus haut intérêt à ceux qui nous ont été transmis sur ce sujet par Euler et Lagrange : il a fait de la découverte que nous lui devons une étude approfondie, dans laquelle sont employées toutes les ressources de la théorie moderne des fonctions. Les propriétés des fonctions à deux variables indépendantes permettent de donner la solution complète sous la forme la plus précise et la plus élégante ; et l’on a ainsi un nouvel et mémorable exemple d’un problème de mécanique dans lequel interviennent ces fonctions transcendantes, dont les applications avaient été bornées jusqu’ici à l’analyse pure ou à la géométrie. »

On ouvrit le pli cacheté joint au Mémoire no 2, et le président proclama le nom de Mme Sophie Kovalevsky.

La séance publique où furent décernées les récompenses eut lieu le 24 décembre 1888. M. Janssen, président, porta la parole : « Messieurs, dit-il, parmi les couronnes que nous allons donner, il en est une, des plus belles et des plus difficiles à obtenir, qui sera posée sur un front féminin. Mme Kovalevsky a remporté cette année le grand prix des Sciences mathématiques. Nos confrères de la section de géométrie, après examen du Mémoire présenté au concours, ont reconnu dans ce travail, non seulement la preuve d’un savoir étendu et profond, mais encore la marque d’un grand esprit d’invention[1]. »

L’héroïne du jour était dans la salle, le cœur enflé d’un juste orgueil. Elle marchait sur les nuages, dans ce Paris amoureux de toutes les supériorités, hospitalier à toutes les gloires, qui saluait en elle l’une des reines de l’intelligence. Fêtée, entourée d’hommages, elle n’était pas plus insensible que ne l’aurait été un homme aux complimens et aux toasts.

Sa réputation était européenne. Dans ses voyages, on la recevait avec presque autant d’honneur qu’une tragédienne ou une danseuse à la mode. Helsingfors, Christiania, Pétersbourg, lui ont fait des réceptions glorieuses. Les premiers savans du monde l’ont

  1. On a encore de Mme Kovalevsky : Sur une propriété du système d’équations différentielles qui définit la rotation d’un corps solide autour d’un point fixe (1890). — Mémoire sur un cas particulier du problème de la rotation d’un corps pesant autour d’un point fixe, où l’intégration s’effectue à l’aide de fonctions ultra-elliptiques du temps (1890). — Sur un théorème de M. Bruns (1891), etc.