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sans désavantage avec les forces navales de l’Angleterre. Une série de défaites successives avait suffisamment appris que, ni pour la qualité, ni pour la quantité des vaisseaux, ni pour l’habileté et l’expérience des commandans, nos escadres ne pouvaient soutenir la comparaison avec celles, bien plus nombreuses, mieux armées et mieux dirigées, qui sortaient des ports britanniques, et quelques années, assez mal employées d’ailleurs, n’avaient certainement pas suffi pour faire disparaître cette inégalité. Si la dernière guerre n’avait pas fini par un échec complet, c’était uniquement aux victoires de Maurice de Saxe dans les plaines de. Flandre que cette consolation était due. Reprendre aujourd’hui l’expérience sur nouveaux frais, en se bornant à une action maritime, c’était marcher à un désastre certain.

Mais à quel point sensible pouvait-on atteindre l’Angleterre sur le continent ? Comment la forcer à venir tenter la fortune là où on pouvait se flatter de la lui disputer ? Elle considérait bien comme un intérêt de premier ordre, et qu’elle ne voulait pas laisser en souffrance, l’indépendance des Pays-Bas et la sécurité de la Hollande. Mais si les Etats-Généraux et l’Autriche restaient dans la neutralité, comme leurs représentans à Versailles l’annonçaient tout haut, on ne voyait pas trop sur quel prétexte on enverrait une armée française envahir la Flandre ou pénétrer sur le territoire de la République ; et on se ferait ainsi deux ennemis de plus, uniquement pour contraindre l’Angleterre à en prendre la défense. On pouvait à meilleur titre menacer l’électorat de Hanovre, mais il n’était pas sûr que le roi George, quelle que fût sa prédilection pour son patrimoine, obtînt facilement de ses sujets les sacrifices nécessaires pour le préserver. Puis, pour attaquer le Hanovre, il fallait traverser toute l’Allemagne, au risque de provoquer les réclamations de la Diète et peut-être la résistance des populations germaniques. Enfin le Hanovre avait un puissant voisin, toujours réputé allié de la France, dont la susceptibilité était facile à émouvoir et les desseins toujours mystérieux ; il fallait le prévenir et le consulter avant de prendre une résolution qui le toucherait de si près. En sorte que la question revenait à celle qu’on avait déjà dû poser plus d’une fois dans les instans décisifs : Que pensait le roi de Prusse de la crise nouvelle et quel rôle comptait-il y jouer ?

Tel que nous connaissons Frédéric, il n’avait pas l’habitude d’attendre, pour prendre son parti, qu’on lui fît une interrogation qui pourrait le gêner. Aussi, dès qu’il avait vu l’orage se préparer à l’ouest de l’Europe, il en avait suivi la formation d’un regard attentif et inquiet. Avec la perspicacité dont il était doué, la