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lui le 1er mars. Sa mission ayant donné à lord Stratford une nouvelle occasion de se révéler, il importe que je m’y arrête. Quel en était le principal objet ? La solution d’une question délicate qui se trouvait mal engagée. Son prédécesseur, le général Aupick, se conformant à ses instructions, avait ouvert une négociation scabreuse et dont on n’avait pesé, à Paris, ni les difficultés ni les périls. Il avait été chargé de mettre la Porte en demeure de restituer aux Pores latins de Jérusalem les Lieux saints, dont ils avaient été successivement expulsés, contrairement aux stipulations du traité de 1740 qui leur en garantissait la possession. Nos religieux avaient été dépouillés au profit du clergé grec, patronné par la Russie.

Esprit judicieux et clairvoyant, le général Aupick ne se fit aucune illusion sur la nature des obstacles qu’il ne pouvait manquer de rencontrer. Il se persuada, avec raison, que les longues négociations en aggraveraient le caractère et le conduiraient à un échec inévitable. En sa qualité de militaire doublant le diplomate, il jugea donc que, pour arracher à la Porte un assentiment rapide, il fallait lui porter, ce qu’il a sans doute appelé lui-même, un coup droit en pleine lumière. Il résolut de présenter sa demande au grand vizir, uni au ministre des affaires étrangères, dans une audience solennelle, afin de les convaincre, par cet éclat prémédité, de la ferme volonté du gouvernement français de poursuivre énergiquement une revendication justifiée par un acte international, sachant bien d’ailleurs qu’il ne pouvait compter sur la discrétion des ministres ottomans, que la réserve ici n’était pas de mise. Désireux d’autre part de bien affirmer son attitude, il donna officiellement, à tous ses collègues à Constantinople, connaissance de la communication qu’il avait laissée entre les mains des conseillers du Sultan. C’était mettre la diplomatie au courant de nos intentions et négocier sur la place publique ; mais ce procédé nouveau offrait un avantage ; il pouvait aider à brusquer une solution, et pour les gens familiers avec les défaillances de la Porte, avec les misères de sa situation internationale, il n’existait peut-être pas une autre voie à prendre. Quoi qu’il en soit, les Grecs, par l’organe de leur Patriarcat, par l’organe des plus notables d’entre eux, surgirent aussitôt sur le terrain de la lutte, invoquant l’appui de la puissance qui les avait aidés à envahir les Lieux saints au détriment des catholiques. La Russie fit entendre sa puissante voix, et la Porte, acculée dans une situation inextricable, rusa avec tous les compétiteurs à la fois, ne refusant rien à la France, rassurant d’autre part le Patriarcat grec et le cabinet de Saint-Pétersbourg. Elle réussit ainsi à égarer la négociation dans des pourparlers dilatoires.