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En 1837, c’est-à-dire au plus fort de sa réputation, Renduel avait transféré sa librairie au numéro 6 de la rue Christine, tout près de son premier domicile. Mais ce n’était pas sans porter atteinte à sa santé qu’il avait pu arriver à ce succès inespéré son activité infatigable avait usé ses forces, si bien que les médecins lui conseillèrent, d’un avis unanime, de se retirer à la campagne. Un peu avant 1840, il acheta le château et la terre de Beuvron, situés dans l’étroite et charmante vallée du Beuvron, à trois lieues au-dessus de Clamecy, dans un pays où il n’y avait alors que des sentiers abrupts, difficiles à gravir, même à cheval. Cette propriété, d’ailleurs assez étendue et bien placée au bord de la rivière, avait, surtout à ses yeux, le grand mérite de le ramener dans son pays natal, aux confins du Morvan, à quelques lieues de Lormes. Renduel ne se décida pas tout d’abord à abandonner complètement Paris, tant était grand pour lui l’attrait de la vie militante, et il se contenta d’aller passer plusieurs mois chaque année à la campagne ; mais, n’ayant pas tardé à s’apercevoir que sa santé dépérissait dès qu’il rentrait à la ville, il dut renoncer absolument à la librairie et se retirer à Beuvron.

L’arrivée d’un homme d’intelligence et d’action fut une bonne fortune pour ce pays, encore très arriéré. Renduel, qui avait en lui un besoin incessant de s’occuper, reporta toute son activité sur la culture et oublia les jouissances de la vie littéraire pour les plaisirs de la vie rustique ; uniquement préoccupé de la prospérité de ses terres et de ses troupeaux, obtenant des prix aux comices, révélant aux gens de la campagne les inventions modernes et discutant avec eux, se mettant en frais d’éloquence persuasive afin de les décider à adopter quelque instrument nouveau qui leur faisait peur. Les paysans, ou du moins la plupart d’entre eux, reconnurent bien vite les qualités de cet homme excellent, parfois brusque et grondeur, mais si dévoué, et chaque fois qu’ils purent nommer eux-mêmes leur maire, ils ne manquèrent pas de le choisir. Élu à diverses reprises maire de Beuvron, Renduel apporta à ses fonctions municipales le zèle qu’il mettait en toute chose, et s’y donna tout entier. Il veillait à mieux employer les fonds de secours, ne soutenant que les véritables indigens, afin de pouvoir les secourir tous ; il usait de sa légitime influence, souvent avec succès, pour obtenir des chemins praticables ; il en traçait même et en exécutait avec les seules ressources de la commune. Il donnait encore l’exemple du courage en refusant de fuir devant l’épidémie cholérique, afin de ne pas augmenter l’effroi des paysans attachés au sol. Durant la dernière guerre enfin, étant tout nouvellement renommé maire, il bravait cet hiver rigoureux,