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I

Lorsqu’en 1849 Otto de Bismarck-Schœnhausen entra, comme député de Rathenow, au Landtag prussien, on y vit entrer avec lui l’ancienne Prusse : la Prusse absolutiste, militariste et piétiste, le droit prussien figé dans la tradition, l’esprit prussien pétrifié dans la consigne. Et voici ce qu’il dit, dès les premières fois qu’il y parla[1]. Il dit que les rois sont rois par la grâce de Dieu, qui n’est qu’en eux seuls, et qu’en eux seuls est le temple de toute autorité, comme la source de toute légalité ; que la volonté du prince est tout, la volonté du peuple rien ; que ce qui n’est rien ne saurait être représenté par rien, et que rien ne saurait en naître ; que ce qu’on nommait d’un mot révolutionnaire et véritablement impie u le peuple » n’était pas la nation, mais un être vil et stupide, couvert d’une peau qui ne lui appartenait pas et « brayant sur les places publiques ; » que la nation, au contraire, était la multitude invisible et muette non seulement des âmes d’aujourd’hui, mais des âmes d’hier et des âmes de demain, reliées et fondues ensemble et communiant en la personne du prince comme en la personne vivante et perpétuelle de l’État ; que, dans ce mystère et dans ce silence de la nation, poursuivant de génération en génération sa mission historique, accomplissant ses destinées, de génération en génération aussi, les rois seuls, par la grâce de Dieu, peuvent voir et entendre. Coupez ou détendez le fil divin qui attache au roi la nation, et il n’y a plus qu’une « nef de fous » courant se briser contre le « rocher de bronze. » Dieu, le roi, le peuple ; mais le peuple n’existe que dans le roi, par Dieu.

L’archi-Prussien, le « Prussien encroûté[2] » qui s’exprimait

  1. Voyez Fürit Bismarcks gesnmmelle Reden, discours des 1er juin 1847 : Uber den monarchischen Rechlshoden in Preussen ; — 15 juin : Uher Preussen als christhicher Stant ; — 2 avril 1848 : Uber die Slellung der Royalisten zur neuen Lage ; — 21 mars 1849 : Geyen die Aufhebung des Belagerungszustandes in Berlin ; — 22 mars : Geyen Bewilligung einer Amnestie ; — 10 septembre : Uber Preussen und die Kleinslaaten ; — 24 septembre : Uber die Krone und das Steuerbewilligungsrecht : — 15 novembre : Uber die Zivilehe und das christliche Volksbewnsstsein ; — 15 avril 1850 : Uber Preussen und die Unionsverfassung ; — 17 avril : Uber das freie Vereinsrecht.
  2. « Wenn Sie dem preussischen, dem altpreussischen Geiste, nennen Sie ihn stockpreussisch, wenn Sie wollen, nicht mehr Konzessionen machen, etc. » C’est la fameuse phrase sur Bucéphale qui porte joyeusement son maître et désarçonne tout autre cavalier.— 15 avril 1850 : Uber Preussen und die Unionsverfassung.