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grévistes du Creusot, en prononçant la sentence dont nous parlions il y a quinze jours. Un ministre a promis en outre une loi sur la presse, et l’a présentée comme la plus urgente de toutes ; mais elle sera peut-être la plus difficile à rédiger, sur une table autour de laquelle sont assis M. Caillaux et M. Millerand. Que de lois, ou du moins que de projets de lois ! Et que sortira-t-il de tant de promesses ?

Peut-être rien, ou peu de chose. Les déceptions de 1882 doivent nous rendre un peu incrédules à ce sujet. Cependant, il faut reconnaître qu’il y a aujourd’hui, de la part d’une partie de l’opinion et d’une partie de nos ministres, une poussée beaucoup plus violente que celle de 1882 dans le sens de certaines solutions jacobines et antilibérales. Ce n’est pas impunément qu’on a introduit le radicalisme et le socialisme au pouvoir : une telle faute devait produire ses résultats logiques. Les revendications extrêmes, qu’on avait déjà tant de peine à refouler, ont pris aussitôt un surcroît d’assurance. Ceux qui les soutiennent sont devenus plus hardis et plus exigeans. N’avaient-ils pas, phénomène sans précédent, un homme à eux, presque un otage, dans le cabinet ? Il y a quelques jours, M. Millerand est allé à Lille, et les heures qu’il y a passées compteront assurément dans l’histoire de la troisième République. On sait que dans cette grande région du Nord, à côté d’élémens excellens, progressistes avec sagesse, réformateurs avec prudence, il y a aussi des élémens collectivistes et révolutionnaires. Ils y sont même plus nombreux et peut-être mieux organisés que partout ailleurs. C’est là que sont les villes qu’on appelle volontiers les villes saintes du socialisme. Une nombreuse clientèle devait donc se presser autour de M. Millerand, et elle est accourue en effet, non seulement pour voir et pour applaudir le ministre qui la représente, mais encore et surtout pour lui dicter ses volontés. Au milieu des éloges et des encouragemens qui lui ont été donnés, il n’était pas nécessaire d’avoir l’oreille bien fine, ni bien exercée, pour percevoir quelques notes d’un ton plus aigre. C’est que l’entrée de M. Millerand dans un gouvernement bourgeois n’a pas été approuvée par tous ses amis, et la question de savoir s’il a bien ou mal fait d’accepter un portefeuille est encore en suspens parmi eux : on doit réunir un congrès national pour la traiter et la résoudre. M. Millerand a commis une incorrection contre les principes : il ne peut la justifier ou se la faire pardonner que s’il prouve, par les résultats mêmes, qu’il a fait œuvre utile pour son parti. On a bien voulu reconnaître qu’il avait fait quelque chose, et lui-même a énuméré avec complaisance la loi sur les accidens, qu’il a fait voter, dit-il, et les dispositions qu’il a prises, par